samedi 6 août 2011

Ni titre ni photo

La photo, je n'ai pas osé la faire. Le titre, je n'en ai pas trouvé. Remercions Didier Goux ?
 C'est après la lecture de son Journal que j'ai acheté le dernier tome du Journal de Renaud Camus, Parti pris. J'avais dit pourtant qu'on ne m'y reprendrait plus: replonger dans l'exercice de style "mille variations sur les thème "je passe la moitié de ma vie à l'hôtel, mais je déteste le bruit dans les hôtels, qu'on me vire tous ces rustres petit-bourgeois dès que j'en franchis le seuil", ou "si on ne me dit pas "Bonjour Monsieur" au lieu de "Bonjour (tout court)," je te  balance Saint-Simon et la marquise de Sévigné dans les gencives", plus les interminables visites de maisons d'obscurs écrivains nordiques dont je n'ai jamais lu un traître mot et qui me semblent parfaitement installés dans leur oubli nordique et légitimement indérangeables, sans parler des musées de provinces  qui, s'ils sont fréquentés, deviennent de ce fait  infréquentables, et s'ils ne le sont pas, ne gagneraient rien à le devenir, bref, BREF, j'ai replongé.
Lire le Journal de Renaud Camus n'est pas bon pour le promeneur. Pour celui qui désire visiter un monument, un quartier, soit, mais se promener après avoir lu le Journal de Renaud Camus, c'est mauvais pour le moral.   On voit tout ce qu'il ne faudrait pas voir, ce à quoi on ne fait pas attention. La moindre poubelle mal placée, le moindre parasol de couleur vivre flanquant (non, dénaturant, vandalisant) la façade d'un monument public, vous gâche le plaisir de regarder alentour. Le papier gras, la canette à côté de la poubelle vous exaspèrent dix fois plus qu'hors temps de  lecture camusienne.
Sinon, comme titre, j'avais à boire, vite, à boire
Je suis allée me promener dans un joli village où il y avait une exposition de photographies. Partout était écrit "expo photos". Ho, expo photos, c'est toujours mieux que foire aux tofs, non  ?" Les tofs sont trop  nazes, laisse tomber c'est mort,  mais le bled est trop beau, a dit un  gamin sur la place. C'est vrai que les gamins, la vérité elle leur sort de leur bouche, a répondu le père à la mère qui jetait des coups d'œil orgueilleux  à la ronde pour voir si tout le monde se rendait bien compte de la précocité de sa progéniture.
Eh bien je suis sûre que je n'aurais rien entendu, si je n'étais pas juste sortie du journal de Camus. Ou je ne l'aurais pas entendu si fort. Le père a offert des bouteilles de soda à ses fils, âgés de sept et huit ans environ et a secoué tiré la petite dernière, agrippée à sa poussette, pour la mettre devant la fontaine. Il ne voulait pas la noyer, bien qu'elle fût fort laide, mais la prendre en photo. Il a sorti son appareil de son sac à dos molletonné,  un  gros engin avec un zoom en érection, et clic, clic, a tourné autour de la fontaine et de sa fille en maudissant la lumière, le soleil, les nuages et la camionette du pâtissier en arrière-plan.  Un jeune homme, lui-même équipé d'un puissant camescope, fit remarquer au père qu'il gagnerait à enlever la tétine en plastique rose de la bouche de l'enfant. Pendant ce temps, les deux garçons s'aspergeaient de Fanta et de Coca et s'insultaient joyeusement. Le père tira fort pour déboucher l'enfant, le bruit de ventouse du caoutchouc mouillé qu'on décolle précéda d'une seconde seulement le  hurlement puissant de la pauvre têteuse. Juste avant de prendre le large, j'aperçus les lèvres de la fillette,  rougies et gonflées par une sorte  d'eczéma qui dessinait en relief le contour exact du truc en plastique. J'ai eu terriblement envie de sortir mon petit compact pour fixer l'expression de l'enfant, un mélange de colère et de désarroi, mais je n'ai pas osé, et j'avais mal pour elle.

Pourquoi ""à boire, vite, à boire" ? Ah oui, le soleil tapait dur sur la place du village, des touristes et promeneurs buvaient à l'ombre des parasols, à la terrasse des cafés. De cela, rien à redire, même Renaud Camus aurait trouvé sobres et pimpants à la fois les parasols blanc cassé, les chaises de métal ou de bois. C'était juste un joli petit village, pas un quartier médiéval classé.
Tous les jeunes gens, tous les enfants, avaient à la main qui un biberon, qui une bouteille d'eau, qui une canette de soda, comme si l'on était dans un désert, comme si une attaque de déshydratation subite menaçait de les envoyer à l'hôpital, à deux pas d'une fontaine, d'une épicerie, de terrasses de café. On voit de plus en plus de grands gars, de jeunes adultes, qui ne sortent pas sans leur bouteille de soda bien sucré qu'ils balancent à bout de bras, alors que pendant longtemps, devenir grand, c'était savoir prévoir, se retenir, attendre un peu.  C'est assez nouveau.

4 commentaires:

  1. Vous voyez que vous avez bien fait de vous y remettre !

    RépondreSupprimer
  2. Didier, avez-vous lu La Décomposition, d'Anne Garréta ? Roman dans lequel on suit un serial killer qui a entré sur disque dur toute La Recherche. Dès qu'il rencontre dans la vie quelqu'un incarnant un personnage proustien, il le tue et efface du fichier tous les bouts de textes, toutes les entrées qui lui correspondent, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.
    En lisant le journal de Camus, je me demande ce que donnerait d'un côté le texte débarrassé de ses litanies hôtels-politesse, et de l'autre le texte continué de ces seuls sujets.
    Idée stupide, finalement.
    Je suis surprise du peu de place accordée au meeting contre l'islamisation. On comprend à peine que R. Camus était l'un des intervenants.

    RépondreSupprimer
  3. "On voit tout ce qu'il ne faudrait pas voir…" ah oui, merci R. Camus, je ne vois plus que les hangars dans un paysage !

    RépondreSupprimer

Modération parfois, hélas, mais toujours provisoire, ouf.