mardi 6 octobre 2015

Une histoire très curieuse




Voulez-vous parrainer une fille pour qu'elle aille à l'école ? Payer ses cahiers, sa cantine, ses vaccinations ?

Si vous répondez oui, cliquez sur  le site d'une association humanitaire qui le propose, et lancez-vous.

Si vous répondez non ou bof, peut-être accepterez-vous de faire un don, un tout petit don même, un peu d'argent que vous ne verserez pas au fisc français ?

Si vous répondez oui, cliquez sur  le site d'une association humanitaire qui le propose, et payez.

Jusque là, rien d'extraordinaire. Qui est contre, qui trouve ça débile, niais, malfaisant ? Pas moi.

Supposons maintenant qu'une de ces associations, une ONG nommée PLAN international  finance un petit plan de com pour attirer les dons.

Tout commence avec un blog: Mon école pour Lina.   Une mère de famille française déscolarise sa fille Lina, huit ans, pour lui apprendre à faire le ménage à la maison afin de devenir une future mère au foyer accomplie. Les articles avec des petites vidéos se succèdent: comment Lina apprend à faire les poussières, comment Lina apprend à laver les sols, à coudre les boutons, à plier le linge... Les commentaires fusent, les appels au service de l'enfance maltraitée affluent, et quelques blogueurs ou facebookers écrivent à leur tour des billets incendiaires pour dénoncer l'ignominie de la chose.
Or, il se trouve que tout cela n'est qu'une mise en scène. Les blogueurs qui relaient le blog de la fausse mère indigne ont été payés pour s'indigner par le PLAN (500€ tout de même pour un article de blog, et je ne sais pas combien pour un simple tweet !) et avaient des instructions, des trucs à dire et à ne pas dire, bien évidemment.  Le dernier billet sponsorisé doit (ou devait)  paraître entre le 6 et le 8 octobre.

Il y a un excellent article sur SLATE à ce sujet.

Quel message fort que celui qui apitoie sur le sort d'un petit enfant malheureux ! Pour tirer l'argent de la bourse, il n'y a pas mieux. On a le cœur qui fond quand c'est pour la bonne cause..  Quand Matthieu Kassovitz tourne un petit clip pour Handicap International en mettant en scène deux enfants blonds qui explosent sur une mine dans la forêt de Fontainebleau, ça marche très bien: ces enfants pourraient être les nôtres, mais on sait qu'ils ne le sont pas,  on nous demande juste de nous mettre à la place de parents lointains d'enfants amputés, d'imaginer, et d'avoir la charité ou la solidarité universalistes. Rien à y redire.

Ce qu'a fait le PLAN en  rétribuant  des blogueurs pour simuler l'indignation, sans avertir leurs lecteurs du procédé, bien évidemment est une action  curieuse.  Cette ONG  marque des buts contre son propre camp, et inspire des réflexions sarcastiques sur le business de l'humanitaire et sur la vénalité des blogueurs à articles sponsorisés.




12 commentaires:

  1. «Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux»

    (petite musique debordienne)

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    1. La marchandise humanitaire comme spectacle ?

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    2. «Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. » et c'est la société dans son ensemble qu'on peut qualifier de "spectaculaire-marchande".
      Bon, après, c'est vrai que Debord avait tendance à vouloir tout expliquer avec une seule grille de lecture et qu'il était un chouïa mégalo parano, mais son talent pour la picole le rend attachant : «Quoique ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent.»

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    3. J'essaie d'imaginer ce qu'en aurait dit la Comtesse de Ségur (quoi qu'il en soit, il faut donner aux pauvres) et Marx (vengeance que la bourgeoisie exerce envers les malheureux contraints de faire appel à sa charité).

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    4. @ Malavita,

      Peut-être que, pour le coup, la grille de lecture debordienne serait adaptée à cette fascinante affaire. Il distinguait le spectaculaire concentré (en gros ce qui est produit par les idéologies totalitaires, type 1984 de Orwell) le spectaculaire diffus ( en gros l'américanisation du monde: marketing, management, consumérisme) et le spectaculaire intégré (un mix des deux).

      Dans les deux premiers modèles, le réel subsiste, mais il est placé derrière un voile, qui le cache.

      Le spectaculaire intégré fait mieux: il produit son propre réel au moment où il en parle. Mais Debord le définit comme "une souveraineté irresponsable": l'auto-production du réel n'est pas vécue comme une supercherie, mais comme quelque chose de tout à fait normal, au point qu'il devient inconcevable de dire qu'il existe un "vrai" réel, différent de ce qui est auto-produit.

      Sauf qu'ici la supercherie est non seulement percée à jour, mais qualifiée de supercherie. Un debordien strict vous dirait alors que cette révélation fait elle-même partie du spectacle, puisqu'elle donne à voir un monde où le réel n'est que supercherie.

      On arrive à la limite que vous pointez: le modèle debordien, explicatif du tout par un concept unique mais très plastique, nous fait cercler: si tout n'est que supercherie, alors, autant picoler puisque rien ne distingue, dans la perception qu'on en a, le monde réel du monde qu'on se figure à travers les vapeurs de l'alcool.

      Autant s'enivrer, non?

      Pourtant, il y a un truc qui ne colle pas avec la théorie debordienne: de trop nombreuses personnes identifient la supercherie pour ce qu'elle est et distinguent bien le réel de sa mise en scène. Loin de se perdre dans le dédale d'un raisonnement abstrait, ces personnes disent: ceci est un fake.

      Debord avait peut-être sous-estimé les processus de vigilance.

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    5. Suzanne,
      La Comtesse de Ségur aurait dit qu'il faut donner aux pauvres, certes, mais en s'assurant qu'ils n'aillent pas au bistro.
      Tschok,
      Quand vous dites que le modèle debordien [...] nous fait cercler, vous pensez au palindrome In girum imus nocte et consumimur igni ?

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    6. @ Malavita,

      Non.

      Je ne l'ai ni vu, ni lu.

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  2. Dans le fond, je ne suis pas certain que cela soit vraiment nouveau, la com, la publicité est toujours une forme de manipulation, de tromperie, de mensonge même appliquée à une ONG.
    Pour récolter du blé, faut faire pleurer dans les chaumières, choquer, indigner, je ne pense pas qu'une ONG puisse se prévaloir d'échapper à cette règle

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    1. Oui mais là c'est gros, c'est grossier, ça s'étale dans les blogs d'à coté...

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  3. Un business plan sur la misère humaine pour cette ONG (structurée comme une multinationale), qui valide la démarche et finit par accepter que la question essentielle de l'éducation des gosses soit traitée sur des blogs (pov' maman digitale) entre deux billets sponsorisés, l'un consacré à un shampooing sec, l'autre à une marque de boissons végétales.

    L'école, la culture et le marketing yaourt : du pareil au même.

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    1. Cette organisation s'était déjà distinguée avec un faux blog sur le mariage forcé. Une norvégienne de douze ans épousait un homme de trente ans son aîné. Le procédé est le même: ça choque parce que ça se passe chez nous, alors qu'ailleurs ça existe, et qu'il faut faire quelque chose pour que ça cesse. On fait entrer en empathie par effraction et je ne suis pas certaine que ce soit vraiment efficace à long terme.

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  4. Bon à savoir. Je suis parrain chez Plan et j'avoue que d'apprendre ça ,ne me fait pas vraiment plaisir...
    J'ai des contacts avec ma filleule (une lettre par an) et il est hors de question de revenir sur mon engagement mais bon, je n'aime pas la méthode.

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Modération parfois, hélas, mais toujours provisoire, ouf.