mardi 4 juin 2013

Les billets de tombola


Juin, c'est le dernier mois de l'année scolaire. Mes petites voisines ont les traits tirés. Elles se couchent de plus en plus tard, mais le car scolaire passe toujours aussi tôt. Les collégiens sont en demi-vacances puisque les professeurs font passer le brevet (l'épreuve d'Histoire des Arts, en ce moment) ou sont en sortie  avec une autre classe. Mes trois petites voisines vont de maison en maison dès potron minet pour vendre des tickets de tombola. Elles  ont douze et treize ans, il y a une basketteuse immense, une ex-réunionnaise dodue aux cheveux blonds crépus et une petite souris habillée de sombre avec des lunettes à monture énorme, et noire. Elles sont en cinquième au collège local, et préparent la fête de fin d'année, kermesse, spectacle et loterie.  Je les ai vu grandir, et j'aime bien quand elles affalent leur VTT devant ma porte, entrent en frappant à peine - il fait si froid, ou si chaud, et on ne refusera pas un chocolat ou une limonade -  pépient dix minutes et continuent leur tournée gâteau-soda dans d'autres maisons du village. Aujourd'hui, elles ne veulent rien boire, elles sont en tournée professionnelle .. Je remarque tristement qu'elles sentent le tabac, mais je ne dis rien. Il faut se dépêcher de racler le fond de la boite à monnaie pour payer des billets de tombola qui coûtent quatre-vingts centimes l'unité, et j'y trouve trois euros et soixante-dix centimes que je mets sur la table en leur disant: débrouillez-vous, je n'ai pas plus. 
Elles ont commencé par des manipulations. Rendre vingt centimes sur la pièce d'un euro, ça va le faire pour un billet. Mais pour la pièce de deux euros ? On peut acheter deux tickets, mais il va rester soixante centimes. Soixante, t'es sûre ? Ou cinquante. En tout cas, on ne peut pas avoir trois tickets avec deux euros. Oui, mais avec les vingt centimes rendus, et les autres pièces qui sont sur la table ? Ah, oui, il y a assez pour trois tickets au moins, mais combien on va rendre ?  Attendez, combien on a donné de tickets tout à l'heure pour quatre euros ? Je ne sais plus, faut que je regarde dans le carnet.  Quatre, je crois.  Non, cinq. Cinq tickets pour quatre euros.  Il n'y a pas assez pour cinq tickets, mais pour quatre on ne sait pas, peut-être. Eh bien, comment pourriez-vous le savoir, que je leur balance avec une douce voix d'institutrice sévère-et-bienveillante ? Ben justement, on sait pas.
Elles ont fait une addition. Un ticket plus un ticket plus un ticket plus un ticket, là c'est bon sinon on dépasse.  Calculer le reste s'est passé sans problème. 
Elles passent toutes les trois en quatrième, avec une assez bonne moyenne. Même en mathématiques.

25 commentaires:

  1. C'est de votre faute. Il fallait leur dire combien vous prenez de tickets...

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    1. Elles ont peut-être pensé cela.
      Au moment où elles vont rendre l'argent des carnets de tickets, je crois qu'il va y avoir du sport dans leur comptabilité.

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  2. "Je remarque tristement qu'elles sentent le tabac, mais je ne dis rien."

    Eh bien, il fallait dire quelque chose comme les vieux d'avant, ou comme ceux d'encore avant avant ! C'est votre tour de faire la vieille, pas de jouer à la jeune qui "comprend".

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    1. non, Misère a raison, Suzanne !

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    2. Mais c'est quoi ce troupeau d'emmerdeuses, là ! Suzanne, vous avez bien fait ! Rien de pire que les "vieilles" qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, qui sursautent en poussant des cris quand votre enfant court à 10 mètres de la chaussée... La mutualisation de l'éducation, ça n'existe pas.

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  3. "La mutualisation de l'éducation, ça n'existe pas. " Il y a un proverbe africain qui dit "un enfant n'appartient à personne, sauf en cas de danger il appartient à tous."
    C'est surtout que je suis convaincue qu'il ne faut rien dire. Une remarque du style "le tabac c'est dangereux pour la santé" ou "et alors, tu ne sais pas faire une petite division de tête et tu te prends pour une grande en fumant ?", je ne vois pas quel bien ça leur ferait à elles... qui n'ont pas fumé devant moi, et encore moins passé en fumant le seuil de ma maison. Si elles l'avaient fait, j'aurais dit quelque chose, mais ce sont des enfants polies, donc...

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  4. C'est terrifiant, dit comme ça. Mais je crois qu'on éloigne de plus en plus les enseignements scolaires de leur application concrète. Et puis "c'est pas grave, elles sont bien gentilles" diront les gens autour.

    Mais elles, quand elles seront autonomes, elles feront comment ?

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    1. Heu... On espère tous qu'elles ne seront pas caissières de toute façon.

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    2. Elles vont aller au collège unique jusqu'en troisième, puis après en CAP aide à la personne ou en bac pro commerce et vente. Et elles ont une bonne chance de devenir caissière. On n'a pas besoin de calculer, pas du tout, pour faire ce travail.
      Quel mépris du petit peuple de la campagne, pourrait-on se dire en lisant ce billet et mes commentaires. Mais non. Il y a des écoles primaires, publiques et privées, qui enseignent assez bien les fondamentaux. Mais pas assez longtemps, pas assez de façon rabâchée, peut-être, our que ça rentre pour toujours ? Et au collège, pfuiiiit..

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    3. Oui oui, mais bon, faut dire, qu'est-ce que c'est chiant de compter.

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    4. Mais non mais non, tout baigne avec l'arithmétique impertinente
      (je sais que vous allez hurler au cynisme, mais...)

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  5. "Il y a un proverbe africain qui dit "un enfant n'appartient à personne, sauf en cas de danger il appartient à tous."

    Purée, le grand remplacement a eu aussi les proverbes...

    Plaisanterie mise à part, j'aime bien quand on fait référence aux vieux d'antan. En 1920, le vieux breton leur aurait offert une clope et peut-être un verre d'eau de vie...

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    1. Aux garçons, oui, mais pas aux filles... du cidre coupé d'eau et une cerise du bocal bien au frais dans le cellier.

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  6. Ha ha ha ! merci pour la vidéo !

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  7. En fait, Suzanne, dans 5-10 ans, glissez-leur ma carte de visite :p

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    1. Blandine, vous faites de la formation pour "public hétérogène objectif perfectionnement saisie des énoncés ?"

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  8. C'est drôle, on dirait que vous parlez de "mon" élève.(en 5ème, lui aussi) Pas moyen de lui faire entendre que si, ce qu'on apprend à l'école, puis au collège, ça sert à quelque chose. J'ai beau déplier des exemples à tout va, il ne voit, lui, qu'un but : avoir une note assez correcte pour avoir la paix avec ses parents. Misère.
    Mais je ne crois pas que l'école soit la seule responsable. C'est plus compliqué. Et j'apprécie la tendresse qui parcourt ce billet.

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  9. Mère Castor: oui, c'est plus compliqué. On a l'impression que le temps s'est rétréci, que le temps pour apprendre est moins long mais aussi celui pour jouer...

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  10. Je crains que l'apparition des calculatrices vers 1975 ait refroidi l'enthousiasme pour le calcul mental ou même écrit. Mes trois enfants qui sont un peu plus âgés que vos petites visiteuses ont fait beaucoup moins d'opérations arithmétiques que moi c'est certain. et j'ai déjà vu une caissière de restaurant prendre sa calculette pour faire 4x8 !

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  11. Désolée de voir que les jeunes ne comprennent toujours pas comment transposer dans "la vraie vie" ce qu'ils apprennent en classe.
    Cela me rappelle un copain de mon fils que je n'ai jamais pu convaincre que dans un train avec correspondance, il n'était pas nécessaire de courir reprendre un billet à chaque arrêt ... est-ce leur faute ou la nôtre s'ils sont si méfiants ?

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  12. Solveig et Athéna: les leçons de calcul ont été données pourtant, mais les élèves (celles-là en tout cas) ont manqué de rabâchage, de temps assez long consacré aux applications concrètes, de contrôle périodique des acquis.

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  13. Le collège près de chez moi fait les billets à 2€, c'est plus simple.
    Les programmes scolaires actuels sont catastrophiques, tout ce qui était intelligent (théorie des ensembles par exemple) a été supprimé, il est vrai qu'il faut laisser du temps pour les séances de bourrage de crâne qui commencent dès l'école primaire.

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  14. Ça fait peur, des collégiennes qui calculent aussi mal, surtout si vous dites qu'elles ont de bonnes notes en classe. En général, les enfants ayant une bonne moyenne s'orientent en lycée général. Ou alors, ils gonflent les notes pour ne vexer personne, si bien qu'on n'est bon élève qu'à partir de 16/20 ?
    Cela fait peur, mais je ne suis pas sûre que ce soit si nouveau que ça, la baisse du niveau a dû s'amorcer tôt. Lorsque j'étais à la fac, une de mes camarades de promotion a traumatisé notre enseignant en lui demandant, le plus sérieusement du monde, ce que pensait Aristote de la théorie de l'évolution, et s'il avait vécu AVANT ou APRES les dinosaures... Et c'était il y a plus de quinze ans tout de même. Je précise que la demoiselle a eu sa licence cette année-là et s'est inscrite en maîtrise( de philosophie, pas d'histoire, mais tout de même). Je connaissais aussi un professeur (en titre) de sociologie, qui était d'une bêtise crasse à tous points de vue, et que je n'avais pas réussi à convaincre (alors qu'il avait aussi une formation initiale en sciences "dures") que pour un code PIN à 4 chiffres, il n'y avait ni plus ni moins que 10 000 combinaisons possibles, soit 10 puissance 4, il n'a jamais voulu démordre du fait qu'il fallait multiplier par 4. Et je ne suis pas mathématicienne pour un sou. On pourrait multiplier les exemples...

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Modération parfois, hélas, mais toujours provisoire, ouf.