mercredi 11 juillet 2012

J’ai dit oui je veux bien Oui



Didier Goux a tourné la dernière page d'Ulysse, et écrit un fort joli billet pour nous en avertir.

*
  Quand j'étais lycéenne, l'année du bac de français, mon professeur était la plus jeune agrégée de France. Elle avait vingt et un ou vingt deux ans, quelque chose comme ça, elle s'appelait Claire. 
 En guise d'introduction pour son premier cours, elle avait sorti de son cartable de cuir semblable aux nôtres quelques livres dont elle nous avait lu des extraits. La beauté d'Albertine, Don qui Chotte et les Jésuites, et le monologue final d'Ulysse. Ce monologue avait  impressionné   mon amie Sabine qui en avait  recopié les dernières lignes sur une feuille qu'elle portait toujours sur elle. 
 Sabine était très impressionnable. Quand elle rencontra dans le train un beau jeune homme qui ressemblait à ceux des contes, un de ces beaux bruns comme ceux qui ont  les pieds fourchus et la pupille fendue, elle accepta  sans hésiter le gros joint  aimablement tendu. Elle oublia sans doute qu'il était sept heures du matin, qu'elle n'avait rien mangé ni bu, angoissée qu'elle était de passer l'oral de français dans la matinée.
 C'était la première fois de sa vie qu'elle tâtait de la marijuana, et ce ne fut pas la dernière, hélas pour elle. L'effet fut puissant. Elle ne descendit pas à la bonne gare, mais elle descendit avec le jeune homme, et ils ne se quittèrent plus pendant deux ans. Elle disparut du monde normal au grand désespoir de ses parents et à la  surprise de ses amis de lycée. 
Un journaliste de mes amis,  quelques années après, m’annonça elle était morte dans un banal accident de voiture. Les policiers avaient eu du mal à l'identifier car elle n'avait aucun papier sur elle, et comme le conducteur l'avait prise en stop, il ne pouvait rien en dire. Le seul document qu'ils ont trouvé dans son porte monnaie était la vieille feuille avec la fin du monologue de Molly Bloom. Les policiers l'ont lu, espérant que c'était une lettre avec une adresse, mais ils ont du se rendre à l'évidence: non. 
Si c'est elle qui a écrit ça, on voit bien qu'elle était un peu dérangée, a dit l'inspecteur.

***

…oui quand j’ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles Andalouses ou en mettrai-je une rouge oui et comme il m’a embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu’un autre et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m’a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l’ai attiré sur moi pour qu’il sente mes seins tout parfumés oui et son cœur battait comme un fou et oui j’ai dit oui je veux bien Oui.

***

17 commentaires:

  1. Arrêtez de stigmatiser la police, je vous rappelle que vous êtes réac.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tiens, un inculte de gauche arrive à lire mes billets jusqu'au bout, maintenant ?

      Supprimer
    2. Non, j'ai lu le dernier paragraphe de la "grosse section", ça suffit pour commenter 95% des billets de blogs. Smiley.

      Supprimer
  2. Cette histoire m'a impressionné...

    RépondreSupprimer
  3. Si l'histoire est vraie, elle est très belle.

    Si elle est fausse, elle est très belle.

    RépondreSupprimer
  4. Ben oui, il y a des gens qui sombrent, avec ou pas des monologues de Joyce dans la poche. On n'y peut rien , c'est la vie, leur vie. Est-ce si triste, au fond ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. "Est-ce si triste, au fond ?"
      Triste, dans cette histoire, non. Pas plus que n'importe quelle mort par accident. On ouvre le sac à main, on regarde les papiers d'identité, et dans le portefeuille il y a la photo d'un bébé qui sourit. Là, tout le monde dit "C'est triste". Un poème à la place de la carte d'identité ne rend pas la mort plus triste, au contraire. Il est psychopompe.

      Supprimer
    2. Est-ce si triste, au fond ? C'est une bonne chose de se poser la question, à mon avis. Mais vous faites de la concurrence à mon bon Docteur Maboule.

      Un poème à la place de la carte d'identité (et cætera) Et si en plus il y a une carte de donneur d'organe ?

      Beau billet.

      Supprimer
  5. Belle histoire. Avec ce qu'il faut pour faire réfléchir.

    RépondreSupprimer
  6. On ne dira jamais assez la dangerosité d'une agrégée de vingt et un ou vingt deux ans prénommée Claire.

    RépondreSupprimer
  7. Tiens, je vais vous envoyer le sieur Cui-cui. Comme ça il pourra reproduire le seul commentaire dont il soit capable : que votre billet est nul mais que, heureusement, vous avez une bande de lèche-fouinedé à votre dévotion.

    RépondreSupprimer
  8. Ah ben non alors! Tout le monde est de mauvaise humeur, c'est le temps. Et puis le jouet-blog qui s'use et qui lasse.

    RépondreSupprimer
  9. "Si c'est elle qui a écrit ça, on voit bien qu'elle était un peu dérangée, a dit l'inspecteur."

    Belle histoire !

    RépondreSupprimer
  10. Non en fait j'ai perdu l'habitude de commenter : c'est vraiment une anecdote d'une très grande poésie qui me donne envie de reprendre "Ulysse" que j'avais abandonné dans un coin, il y a quelques années de là, sans vraiment faire exprès, je crois.

    RépondreSupprimer
  11. Et tant qu'à faire le voyage dans les blogs, pour ne pas gâcher, je rajoute un commentaire en prime : (ici car les commentaires sont fermés ailleurs) : je suis très choqué que quelqu'un n'ait pas compris votre phrase "anglaise d'origine anglaise" et crie au pléonasme. Ne pas comprendre ce trait d'humour pourtant évident me semble un acte extrêmement barbare et me donne des petits frissons.

    RépondreSupprimer
  12. Balmeyer, quelle agréable surprise !
    Bravo pour cet extraordinaire effort de commentariat qui a du vous laisser pantelant. J'espère qu'à la fin du troisième commentaire, quelqu'un vous aura lancé une couverture sur le dos, et servi un bon repas chaud.


    "un acte extrêmement barbare et me donne des petits frissons."
    Oui, mais c'est Rosaelle, et elle est comme ça. (Aimons nous les uns les autres)

    RépondreSupprimer

Modération parfois, hélas, mais toujours provisoire, ouf.