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Ses cheveux tombaient sur ses hanches
..Ma mère avait un bordel à Nantes.
Pas un bordel bordel, pas une maison close à la Maupassant, mais un bar hôtel restaurant ouvert le week-end seulement. Ce n'était pas un bar à putes de luxe, ce genre de boite fréquentée par des clients du show biz ou de gros pontes de la came, mais un petit établissement assez tranquille où les filles étaient libres et vendaient leurs services à des hommes ordinaires qui venaient des villes voisines car ils n'avaient pas envie d'être reconnus par leurs collègues de travail ou par leurs voisins dans la rue. Quand le client angevin ou rennais croisait une de ses relations, la discrétion était de mise. On était là pour pour la même chose, on savait vivre et se taire.
En semaine, j'étais pensionnaire dans un collège catholique d'Angers. Le week-end je rentrais chez ma mère, au bordel. Ma mère m'aimait peu, je ne l'aimais pas davantage, mais nous nous entendions assez bien. Elle payait l'école, m'envoyait l'été dans des colonies de vacances luxueuses, ne s'occupait en aucune façon de mon éducation et m'achetait tout ce que je lui demandais. Je n'ai jamais eu de père et j'évitais la compagnie des hommes. Je n'étais pas malheureuse.
L'année de mes douze ans, ma mère s'est dégotté un copain effrayant: un type de cinquante ans en cavale, activement recherché par la police et par d'anciens potes truands qui voulaient lui faire la peau. Il avait refusé de fournir un faux témoignage au sujet de l'assassinat d'un juge et balancé quelques noms, puis s'était laissé coffrer en attendant que l'affaire se tasse. De ses séjours en taule il conservait des tatouages grossiers qui lui couvraient les bras, le dos et le torse et débordaient jusqu'au menton, ainsi qu'une cicatrice qui lui gommait le sourcil gauche. Identifiable comme il l'était, il évitait donc les sorties et se distrayait avec les moyens du bord.
Au début, c'était juste un fugitif, puis il a pris du poil de la bête et s'est trouvé des envies de beaux costumes, de montres en or et pourquoi pas de casino dans le midi quand il aurait purgé certaines dettes pressantes. Il commençait à se poser en patron et à me mater d'une façon qui m'inquiétait; je savais que je ne pouvais compter sur aucune protection maternelle et je n'avais pas envie d'abattre l'atout final en cas de grand péril, c'est à dire me confier à la Mère Directrice du collège, ou cogner à la porte des flics qui m'auraient gentiment envoyée dans un foyer pour mineures en danger, version internat du collège en pire, et adieu la liberté. J'avais encore moins envie d'avoir ses sales pattes sur mes petits seins naissants, et je crevais de trouille à l'idée de ce que je sentais arriver à grands pas.
La suite n'est pas le plus long à écrire: ce salaud-là s'est dit qu'il se ferait un beau paquet de fric en vendant ma virginité à des clients que ce genre de truc affole; on ne manquait pas de demandes. J'avais douze ans à peine, et encore un corps de gamine. Je regardais avec étonnement les petits poils fins qui frisottaient en bas de mon ventre, je n'avais pas eu mes premières règles. Lors d'une soirée très décontractée, presque amicale, j'ai accepté de me faire couper les cheveux par Sylviana qui avait été coiffeuse dans une autre vie. Elle m'a fait des mèches oranges et blanches, une coupe comme celle de la dernière chanteuse à la mode, fixé le tout avec force gel et laque. Je n'avais plus la même tête, je ne me reconnaissais pas. Pour fêter ma première coupe de cheveux (une heure avant, quand je dénouais ma longue tresse, mes cheveux qui n'avaient jamais connu les ciseaux d'un coiffeur tombaient sur mes hanches), nous avons fini les bouteilles de champagne qu'avaient laissé les clients de la veille. Je ne sais pas ce qu'on a mis dans mon verre, je n'ai plus de souvenirs, ne me restent que des éclats de mémoire, de courts instants. Je me revois nue dans la pénombre, avec deux types près de moi, et je connaissais l'un d'eux sans pouvoir mettre un nom sur son visage qui bougeait au dessus du mien comme dans un rêve gluant, poisseux. Il me faisait mal et je l'ai mordu, puis j'ai replongé dans le brouillard. Le lendemain, je me suis réveillée dans mon lit, courbaturée, groggy mais propre, couverte d'écorchures.
En m'emmenant à la gare, ma mère m'a dit qu'elle allait virer ce connard. Je n'avais pas trop le cœur à l'étude cette semaine là, mais j'étais contente de retrouver mes copines et le cours de français. On devait nous rendre les rédactions et j'aimais beaucoup recevoir la mienne corrigée; mon professeur était sévère, pointilleux, il écrivait abondamment sur les copies. Quand il a prononcé mon nom, debout, le tas de feuilles dans les mains, les images floues que j'essayais de chasser dès qu'elles venaient trembloter devant mes yeux se sont superposées jusqu'à devenir lumineuses. Il a pâli, sa bouche s'est tordue, il a porté sa main gauche à l'épaule. J'ai su tout de suite que sous sa chemise il y avait ma morsure avec la trace de mes incisives. Ma note était bonne. Les suivantes ont toujours été excellentes et l'année d'après, il n'était plus là. Le copain de ma mère est parti dans la semaine.
On a retrouvé trois ans plus tard ce qui restait de son corps dans le coffre de sa voiture, au fond d'un étang de Brière. Il y avait 172 impacts de balles dans les portières.
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En semaine, j'étais pensionnaire dans un collège catholique d'Angers. Le week-end je rentrais chez ma mère, au bordel. Ma mère m'aimait peu, je ne l'aimais pas davantage, mais nous nous entendions assez bien. Elle payait l'école, m'envoyait l'été dans des colonies de vacances luxueuses, ne s'occupait en aucune façon de mon éducation et m'achetait tout ce que je lui demandais. Je n'ai jamais eu de père et j'évitais la compagnie des hommes. Je n'étais pas malheureuse.
L'année de mes douze ans, ma mère s'est dégotté un copain effrayant: un type de cinquante ans en cavale, activement recherché par la police et par d'anciens potes truands qui voulaient lui faire la peau. Il avait refusé de fournir un faux témoignage au sujet de l'assassinat d'un juge et balancé quelques noms, puis s'était laissé coffrer en attendant que l'affaire se tasse. De ses séjours en taule il conservait des tatouages grossiers qui lui couvraient les bras, le dos et le torse et débordaient jusqu'au menton, ainsi qu'une cicatrice qui lui gommait le sourcil gauche. Identifiable comme il l'était, il évitait donc les sorties et se distrayait avec les moyens du bord.
Au début, c'était juste un fugitif, puis il a pris du poil de la bête et s'est trouvé des envies de beaux costumes, de montres en or et pourquoi pas de casino dans le midi quand il aurait purgé certaines dettes pressantes. Il commençait à se poser en patron et à me mater d'une façon qui m'inquiétait; je savais que je ne pouvais compter sur aucune protection maternelle et je n'avais pas envie d'abattre l'atout final en cas de grand péril, c'est à dire me confier à la Mère Directrice du collège, ou cogner à la porte des flics qui m'auraient gentiment envoyée dans un foyer pour mineures en danger, version internat du collège en pire, et adieu la liberté. J'avais encore moins envie d'avoir ses sales pattes sur mes petits seins naissants, et je crevais de trouille à l'idée de ce que je sentais arriver à grands pas.
La suite n'est pas le plus long à écrire: ce salaud-là s'est dit qu'il se ferait un beau paquet de fric en vendant ma virginité à des clients que ce genre de truc affole; on ne manquait pas de demandes. J'avais douze ans à peine, et encore un corps de gamine. Je regardais avec étonnement les petits poils fins qui frisottaient en bas de mon ventre, je n'avais pas eu mes premières règles. Lors d'une soirée très décontractée, presque amicale, j'ai accepté de me faire couper les cheveux par Sylviana qui avait été coiffeuse dans une autre vie. Elle m'a fait des mèches oranges et blanches, une coupe comme celle de la dernière chanteuse à la mode, fixé le tout avec force gel et laque. Je n'avais plus la même tête, je ne me reconnaissais pas. Pour fêter ma première coupe de cheveux (une heure avant, quand je dénouais ma longue tresse, mes cheveux qui n'avaient jamais connu les ciseaux d'un coiffeur tombaient sur mes hanches), nous avons fini les bouteilles de champagne qu'avaient laissé les clients de la veille. Je ne sais pas ce qu'on a mis dans mon verre, je n'ai plus de souvenirs, ne me restent que des éclats de mémoire, de courts instants. Je me revois nue dans la pénombre, avec deux types près de moi, et je connaissais l'un d'eux sans pouvoir mettre un nom sur son visage qui bougeait au dessus du mien comme dans un rêve gluant, poisseux. Il me faisait mal et je l'ai mordu, puis j'ai replongé dans le brouillard. Le lendemain, je me suis réveillée dans mon lit, courbaturée, groggy mais propre, couverte d'écorchures.
En m'emmenant à la gare, ma mère m'a dit qu'elle allait virer ce connard. Je n'avais pas trop le cœur à l'étude cette semaine là, mais j'étais contente de retrouver mes copines et le cours de français. On devait nous rendre les rédactions et j'aimais beaucoup recevoir la mienne corrigée; mon professeur était sévère, pointilleux, il écrivait abondamment sur les copies. Quand il a prononcé mon nom, debout, le tas de feuilles dans les mains, les images floues que j'essayais de chasser dès qu'elles venaient trembloter devant mes yeux se sont superposées jusqu'à devenir lumineuses. Il a pâli, sa bouche s'est tordue, il a porté sa main gauche à l'épaule. J'ai su tout de suite que sous sa chemise il y avait ma morsure avec la trace de mes incisives. Ma note était bonne. Les suivantes ont toujours été excellentes et l'année d'après, il n'était plus là. Le copain de ma mère est parti dans la semaine.
On a retrouvé trois ans plus tard ce qui restait de son corps dans le coffre de sa voiture, au fond d'un étang de Brière. Il y avait 172 impacts de balles dans les portières.
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J'attends les deux autres avec impatience !
RépondreSupprimer172, c'est trop.
RépondreSupprimerWow,
RépondreSupprimerça décoiffe !
J'espère quand même que ce n'est pas celle-là votre première fois...
et bien quand vous dégainez ..... fichtre
RépondreSupprimermerci pour vos commentaires...
RépondreSupprimerà vous maintenant !
Ayé,
RépondreSupprimerj'ai fait...
Sans attendre les deux autres (et quitte à me ridiculiser à la fin), je récuse celui-ci. Non pas pour ce qu'il raconte, mais pour la manière dont il le raconte : récit superbe, mais emprunté. Récit non vécu.
RépondreSupprimer(Mais, en effet, il se pourrait que le récit fasse non vécu parce que l'auteur (l'auteure, l'auteresse, l'autrice...) le reconstruise afin de mieux l'éloigner.
Néanmoins, je le récuse.
Oh le stal !
RépondreSupprimerLe mien arrive dans 10 mn
Didier: mon récit n'est pas emprunté,d'abord, il est sobre. (non mais !)
RépondreSupprimerMerci.
Pierre RR: J'y vais, et je vous ajoute en lien.
Ce n'est pas "emprunté" que j'aurais dû écrire, en effet. Plutôt quelque chose comme "trop maîtrisé" peut-être.
RépondreSupprimerCela étant, ceux de Dorham et de PRR le sont également, maîtrisés. Donc, je ne sais plus.
Je ferme ma gueule.
Je boude, là !
Eh, Didier, je ne suis pas écrivain, hein. Ce que j'en dis, moi, je ne sais pas.
RépondreSupprimer"deux types près de moi, et je connaissais l'un d'eux sans pouvoir mettre un nom sur son visage qui bougeait au dessus du mien comme dans un rêve gluant, poisseux"
RépondreSupprimerC'était pas Mitterrand et Polanski ?
Ou les frères Bogdanoff
Wharff ))))