dimanche 21 juillet 2013

Le hasard qui fait sauter les boulons



Hier, ma brouette fonctionnait parfaitement bien.
Ce matin, je la saisis par ses deux manches (manches ? branches ? bras ? pas queues, non ? si ?) La roue ne tournait plus. Ma brouette gémissait plaintivement comme une bête malade. J'ai pensé d' abord à quelque herbe ou fougère coincée, mais non. Un écrou avait sauté et la roue flanchait.  Je n'ai pas retrouvé l'écrou.  Ma brouette, ma brouette, ma pauvre brouette ! Brouette vivant en pleine campagne, mussée entre deux haies d'épineux, à l'ombre de grands chênes séculaires, mais qui t'a fait ça ? On est pourtant drôlement loin de toute banlieue et de ses djeunes détrousseurs patibulaires. Mais ils sont  venus quand même, espérant l'accident, patients et avides comme les naufrageurs de l'île de Sein.  Ils étaient si bien planqués dans l'épine noire et les noisetiers que je n'ai rien vu.
 Un boulon ne saute pas par hasard.

mercredi 17 juillet 2013

Je n'aime pas les vacances

Karel APPEL, Le clown aux larmes d'or




   Je n'aime pas les vacances
Même les pitreries de Christine Boutin et de Xavier Bongibault ne me font sourire que du bout des lèvres. Un des pires ministres du logement, au pire bilan qui soit, reproche au président de la République un  timbre-poste, l'autre histrion  se trémousse devant qui lui tend un micro en invoquant les nazis à longueur de temps. Leur psy est mort, ou quoi ?

mardi 2 juillet 2013

Un petit jeu pas si facile

Moi aussi, comme Jacques Etienne et tant d'autres, j'apprécie le nauséabond Didier Goux en auteur-livreur. Notez que je l'entretiens dans sa modestie: écrivain en bâtiment, dit-il, auteur-livreur ajouté-je, pour son journal qu'il  nous offre à la fin de chaque mois. J'aimerais bien qu'il nous fasse  un journal du mois d'après, rien qu'une fois, pour changer. Le passé, c'est bien beau, mais l'avenir, tout de même...
J'ai empilé ce que j'ai chez moi de journaux d'écrivain. Nous sommes en juillet, j'ai lu ce qu'ils écrivaient en juillet. En voici   sept  extraits . Il en manque, et de grands, mais j'en garde pour août.
Qui saura en reconnaître quelques-uns ?

1)   Juillet s'épanouit dans la canicule. C'est le mois de l'été actif. On travaille encore. Il y a les forçats du tour de France. Bientôt ce sera, avec août, l'été passif. Maisons et magasins fermés, torpeur généralisée. On fera la queue devant la seule boulangerie ouverte du canton. C'est qu'ici nous sommes à la fois à la campagne et à Paris. Pas question d'estivants. Les vacances vident la région. […] 
 Sur la plage, deux filles très exemplaires, quatorze et seize ans. Assez lourdes, le nez épaté et retroussé, mais éclatantes de fraîcheur. Blondes, bleu et rose, tout le corps doré par le soleil comme une brioche. Porcines avec leur mufle épais et sensuel, mais triomphalement charnelles, elles sont la négation des mannequins squelettiques recherchés pour les défilés de mode. C'est ainsi que la peinture traditionnelle de Rubens à Renoir voulait que fût la femme. C'est la fusion en une seule pulsion de l'appétit alimentaire et du désir érotique. 
Michel Tournier, Journal extime Juillet 2002.

 
2) Moins de livres vendus, davantage de livres publiés. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond dans cette histoire ?
Les lecteurs potentiels ont certes tort d'acheter moins de livres, les éditeurs ont-ils raison de s'obstiner à leur offrir une marchandise dédaignée ? En terme de marché, c'est bien comme cela qu'il faut dire ? Et si les éditeurs réduisaient leur production, qu'est-ce qui se passerait ? Pour eux, j'entends.
Au temps de la prospérité - très relative, il va sans dire, puis qu'un grand éditeur comme Julliard jonglait avec plusieurs banques à la fois - j'avais dit un jour à René Julliard : avec quatre romans par mois vous perdez de l'argent, pourquoi n'en publieriez vous pas qu'un ou deux particulièrement choisis, et de qualité ? À quoi il me répondit : si je perds de l'argent avec quatre romans il me faudrait au contraire en publier huit, le double, pour rentrer dans mes frais et « faire tourner la maison."
J'ai compris ce jour-là que je ne serais jamais ce qu'on appelle un éditeur.
Maurice Nadeau Journal en public 1er juillet 2002.

3) C'est étrange de constater comme ce pouvoir de créer rend son ordre à tout l'univers. Je puis voir l'ensemble de ma journée dans ses justes proportions, même après une longue hésitation de l'esprit, comme celle que j'ai eue ce matin. Mais ce doit être une nécessité physique, morale et mentale, comme mettre une machine en marche. Folle journée de vent et de chaleur, des bourrasques dans le jardin, toutes les pommes de juillet dans l'herbe. Je vais m'offrir le luxe d'une série de rapides et vifs contrastes, et briser les moules autant que je pourrai. Enfin, faire toutes sortes d'expériences.
 Virginia Woolf, 27 juillet 1934.

4) Bien que le spectacle d'un grand incendie ne soit pas une plaisanterie, chacun de nous retourna peu après à ses occupations. Encore heureux de pouvoir le faire! Le soir, au dîner, nouvelle alerte. Pour une fois, on mangeait bien, mais le hurlement des sirènes m'a coupé l'appétit. Cependant, tout resta calme jusqu'au signal de fin d'alerte trois quarts d'heure plus tard. À peine la vaisselle faite : alertes, tirs, et un nombre inimaginable d'avions. « Ciel, deux attaques dans la journée c'est trop» mais on ne nous demande pas notre avis. Montant, piquant, les avions faisaient vibrer le ciel et me donnaient la chair de poule. À chaque instant je me disais : « cette bombe est pour toi, adieu ».
  Anne Frank, 26 juillet 1943.

5) Ce pavillon à grand jardin […] qui était, il y a encore une douzaine d'années, un endroit charmant d'isolement et de tranquillité, est devenu intenable. Non seulement je suis entouré de sots – et goujats – à TSF, pour qui le vacarme paraît être la plus grande jouissance, qui font marcher leurs appareils au plus haut diapason, toutes fenêtres ouvertes, sans souci du dérangement qu'ils peuvent causer à autrui – la pensée ne leur en vient certainement même pas – mais vers R..., au milieu de cette route qui mène au bois de Verrières, on a construit tout un lot de maisons à loyer bon marché, et, depuis la soirée de mercredi dernier, il y a, pour le 14 juillet, un bal de nuit dont le vacarme que m'apporte le vent est, pour moi, comme s'il était à cent mètres. Voilà quatre nuits que je ne peux dormir, et j'en ai encore une à subir ce soir, ce qui fera la cinquième. Que suis-je obligé de gagner ma vie ! Je ne serais pas long à décamper et à chercher ailleurs, le plus loin possible de cette vermine, un endroit où j'aie vraiment le silence. Il faut ajouter, par-dessus le marché, le centre d'aviation de V. et le potin des appareils dans le ciel, la journée et une partie de la soirée. Je ne sais pas ce que sera la vie sociale dans cinquante ans, mais il est à prévoir qu'elle sera à se sauver.
Paul Léautaud, dimanche 17 juillet 1938

 
6) Ma chambre à l'hôtel, la chaleur réfléchie par le mur d'en face. Elle se dégage aussi des murs latéraux qui forment une voûte et enserrent la fenêtre placée dans un renfoncement. En plus, soleil d'après-midi. Le garçon, vivacité de mouvements, presque comme un Juif de l'Est. Tapage dans la cour, comme dans un atelier de construction de machines. Mauvaises odeurs. Punaise. Difficile de se décider à l'écraser. La femme de chambre s'étonne, il n'y a de punaises nulle part : une seule fois un client en a trouvé une dans le couloir.
  Franz Kafka, juillet 1914

 
7) De jeunes musiciens sont montés à Sartrouville. Ils jouent La foule, Mon amant de Saint-Jean, des airs d'avant le RER et les villes nouvelles. Je leur donne dix francs comme je donne à des silhouettes et des visages de misère. Le même geste pour payer le plaisir ou la compassion.
Les chansons transforment la vie en roman. Elles rendent belles et lointaines les choses qu'on a vécues. C'est de cette beauté que vient plus tard la douleur de les entendre.
Dans le film de Raymond Depardon, sur l'asile de l’île San Clemente, à Venise, on voit un homme affalé sur une table. Il tient un transistor collé à l'oreille et il écoute très fort une chanson. C'est une chanson italienne, elle fait penser à une fête foraine, à un bal en plein air, à l'amour perdu. L'homme écoute et il pleure. 
 Annie Ernaux, 13 juillet 1993
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J'active la modération des commentaires ... et j'attends avec curiosité.