Je suis une grande petite lectrice du Journal de Renaud Camus. Je devrais plutôt dire une grosse petite lectrice: grande et grosse dans le sens où j'ai lu tous les tomes de ce journal et pas grand-chose d'autre de cet auteur, et que j'y pense souvent. Petite dans le sens où je suis loin d'en tirer la substantifique moëlle, où je m'en nourris d'abondance sans en retenir grand-chose, sans engraisser beaucoup ma culture.
Je ne me plains pas des ressassements et radotages inévitables des journaux d'écrivains qui prennent de l'âge. J'aurais préféré aborder celui de Léautaud par la fin pour passer vite ce goût amer, racorni, desséché, des épuisantes dernières années, mais je ne voudrais pas précipiter la vieillesse du châtelain de Plieux pour relire sa vie à l'envers. Lectrice indulgente et affectueuse aussi, pour quelqu'un qui ne me ressemble guère, enfin à qui je ne ressemble guère, enfin avec qui je n'ai pas beaucoup de points communs sinon... tiens, le goût de la promenade, déjà, qui m'inspire le billet de ce matin.
J'ai ouvert mon blog, voilà presque un an, sur un extrait de Sommeil de personne. Il a beaucoup plu ces derniers jours et comme j'habite dans une région de terres acides, les mousses, les lichens et autres plantes rases prospèrent dans les landes sur les schistes et les grès qui affleurent un peu partout, et les ornent d'étranges floraisons minuscules. Je me promenais dans les landes, admirant les mousses, donc, quand je croisai un homme vêtu d'un autentique kabig bleu marine, d'un bonnet assorti et de chaussures de marche. Il est d'usage, quand on se croise sur un chemin, de se dire bonjour. Quand c'est une famille qui s'égrène dans un sentier encaissé bordé d'ajoncs, on dit autant de bonjour qu'on croise de personnes, et parfois on dit distraitement bonjour au chien folâtreur qui rattrape sa tribu. Il n'y a pas de bienséance particulière, c'est celui qui voit en premier l'autre qui dit bonjour, qu'il soit homme ou femme. Bonjour, juste bonjour. Pas "bonjour monsieur", ou "bonjour madame", comme le voudrait la politesse ancienne. Oui, mais voilà: quand je me promenais ce matin, Renaud Camus était avec moi, et me parlait du paysage, me désignait un hangar de tôle qui écorche l'horizon, d'une malencontreuse coupe de bois qui dévoile deux silos d'une ferme gâchant la vue du petit château, derrière... Et Renaud Camus souffre quand on il entend "bonjour" sans monsieur ou madame derrière. Il ne s'y fait pas, il ne s'y fera jamais, il le répète assez tout au long de ses pages. Aussi, quand l'homme a soulevé son bonnet et m'a dit d'une voix grâve:"bonjour madame", j'ai été tellement surprise par l'incarnation camusienne de ce promeneur du matin (que je n'avais jamais vu auparavant), que j'en suis restée muette et que je l'ai regardé en écarquillant les yeux.
Peut-être à cette heure est-il en train d'écrire sur son blog ou dans son journal à lui qu'il a rencontré une espèce de paysanne ahurie, une innocente sourd-muette qui caressait les mousses, toute seule, sur un rocher...
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Ah ah ah, un régal cette promenade ! L'épopée du bonjour (même distraitement lâché au chien), est un petit moment d'anthologie, je rigole bêtement depuis dix minutes...
RépondreSupprimerReste à savoir ce que dirait Renaud Camus au chien. "Bonjour Chien" ? "Bonjour l'animal ?" "Bonjour Labrador" ? Un mystère.
Balmeyer: bonjour !
RépondreSupprimerJe ne sais pas, il n'en parle pas dans son Journal (Dans la mort du chien Horla, peut-être ? je ne m'en rappelle pas). En breton, on vouvoie les petits enfants et les chats, mais pas les chiens.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce billet mais il provoque également en moi des nuées de blagues très salaces. Rassurez-vous, aucune ne vous concerne...
RépondreSupprimerS'lut tout l'monde !
RépondreSupprimerPareil pour les blagues salaces (caresser les mousses sur un rocher...)
RépondreSupprimerPffft... Pourquoi je n'ai pas de commentaires de FILLES ?
RépondreSupprimer"Se promener": l'un des plus beaux verbes qui soient. L'un des exercices les plus exigeants pour l'esprit.
RépondreSupprimerEt dire - mais je tâcherai de me rattraper - que je n'ai jamais lu Renaud Camus...
Camus voussoie ses chiens...
RépondreSupprimerPour le reste, voilà un billet que je n'aurais pu écrire : par chez nous, et sauf exception, quand on croise un promeneur, il regarde ailleurs pour ne pas avoir à dire bonjour du tout.
En Autriche, dans les montagnes (et ailleurs aussi), on dit "Grüss Gott!). Je ne sais pas où on en est là-bas pour les minarets.
RépondreSupprimerHermès, vous pouvez avoir un aperçu du style de cet écrivain avec ce long hypertexte, Vaisseaux brûlés.
RépondreSupprimerMarine, pas de chants du muezzin dans ma verte campagne, et guère d'angélus non plus. On va réveiller les dieux celtes?
Didier: les normands n'ont RIEN pour eux, alors ?
Suzanne, j'arrive, eh ho, je ne suis pas tout le temps derrière mon écran : ) Et puis je voulais dire exactement la même chose que Didier. Et ceci aussi : quand nous sommes en vacances dans une autre région et qu'un promeneur nous dit bonjour, je sursaute d'étonnement et en reste muette ou bafouille tellement je suis surprise. Après quelques jours, je m'habitue et puis retour à la maison et là, du coup, je déprime pendant quelques jours en retrouvant les Normands.
RépondreSupprimerJe ne connais ni Renaud Camus ni ses promenades, mais je suis une fille et j'interviens, 1, pour relever les statistiques, 2, pour dire qu'ici on dit bonjour à tout le monde, connu ou inconnu. Sauf peut être aux gens qu'on n'apprécie pas du tout du tout. Mais alors, c'est presque une déclaration de guerre.
RépondreSupprimerCatherine: dans le dernier tome de son Journal, Renaud Camus plaide pour le petit signe de tête, le sourire, bref quelque chose qui montre qu'on a vu l'être humain que l'on croise. Je suis bien d'accord avec lui, d'autant que par chez moi, c'est la coutume et j'y adhère pleinement. Je souris par contre quand je lis ses lamentations sur la perte des convenances (il faut dire "bonjour monsieur, bonjour madame" et non"bonjour" tout court), perte de forme qui n'entraîne pas forcément une perte de politesse, si la vraie politesse s'accorde d'abord avec l'objectif, le désir, de ne pas nuire et d'aborder gentiment, pacifiquement, votre frère humain.
RépondreSupprimerMère Castor: ben oui, on n'est pas des sauvages de vikings, nous !
RépondreSupprimerBonjour madame.
RépondreSupprimerRenaud Camus, fine lame ! J'adore.
Les promenades aussi. En Provence, sur les flancs de la Sainte Baume, l'on dit bonjour monsieur et madame. Des pèlerins en général, venus parler aux oreilles de Marie Madeleine. Mes chiens vouvoient également les promeneurs. Comme pour s'excuser de les avoir effrayés. En revanche,ils tutoient le lièvre (de Vatanen) et le sanglier (d'Astérix).
"Mes chiens vouvoient également les promeneurs."
RépondreSupprimerLes maîtres polis ont des chiens avenants et polis, c'est bien connu !