samedi 29 mai 2010

Qu'Allah bénisse la France


Dans un premier temps, je me contentais de chaparder des friandises au détour d'une allée de supermarché. C'était, il faut bien le dire, une attitude répandue universellement dans la cité. Puis, avec une poignée de copains, on est passée aux petits casses d'appartements dans la partie bourge du quartier, au Stockfled ou à la Ganzo. Oh, rien de bien méchant. On escaladait les échafaudages d'immeubles en rénovation et on se glissait par une fenêtre entr'ouverte pour piquer des babioles, des objets insignifiants; on se contentait même partois de chaparder des vêtements qui séchaient sur un balcon. Puis ce furent les premières agressions en bandes contre des gamins, souvent des petits Blancs d'ailleurs, sur le chemin de la piscine le mercredi ou le samedi. On les délestait de leur goûter, de leurs effets personnels ou de leur argent de poche les jours de chance. Il nous est même arrivé deux ou trois fois d'en obliger un à nous introduire chez lui en l'absence de ses parents, pour nous permettre de faire une petite razzia. [...]

Toutes ces activités étaient tellement courantes chez les gamins de la cité qu'on n'y voyait absolument aucun mal. Mais dans mon cas personnel, elles s'accordaient mal avec mes brillants résultats scolaires. Or, une institutrice, Mlle Schaeffer -vieille fille quadragénaire, le visage sévère derrière ses grosses lunettes, qui ne vivait que pour nous voir sortir de la cité par la porte du savoir- était absolument convaincue de mon fort potentiel. Elle harcela ma mère pour l'en persuader aussi et fit jouer toutes ses relations pour me faire admettre à moindre frais dans le collège privé catholique de Sainte-Anne, établissement d'élite ou pratiquement aucun enfant de Neuhof* n'était entré avant moi. C'est grâce à elle que j'ai pu avoir accès à un autre univers que celui de la cité, et c'est à partir de ce moment que mes activités contradictoires ont commencé à devenir un vrai problème. Abd al Malik Qu'Allah bénisse la France Albin Michel 2004

*Le Neuhof est un quartier de Strasbourg.

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21 commentaires:

  1. Un Alsacien dit le Neuhof et non Neuhof.

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  2. Dominique: corrigé pour la petite note, mais Abd al Malik a vécu dans ce quartier depuis l'âge de quatre ans. Il dit le Neuhof aussi dans son livre.

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  3. Ah le Neuhof, quel beau quartier. Une de mes amies, professeur en collège, s'est fait démonter la tête par un de ses élèves. Elle a tenu cinq ans, mais épuisée moralement et physiquement a abandonné. J'habitais un temps à Neudorf qui jouxtait ce quartier, mais jamais ne me suis aventurée au delà. Et cela c'était en 1975 c'est dire que cela fait longtemps que cet endroit est délaissé.

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  4. Vous en concluez quoi, Suzanne ?

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  5. La Pecnaude: je ne conclus pas pour l'instant; j'ai lu ce livre hier, et je l'ai trouvé intéressant. L'auteur insiste beaucoup sur le fait qu'il ne voit aucun mal à voler, à racketter, en groupe à trois contre un le plus souvent. Il décrit les techniques (comment arracher son sac à une vieille). Le tout est de ne pas se faire prendre, et lui y réussit très bien. Quand il arrive au Neuhof en 1981 il a cinq ans (et non pas quatre comme je l'écris plus haut), il n'y a que trois familles noires. Son père, intellectuel congolais, venu parfaire en France une formation de journaliste, refuse de travailler sous la coupe des Blancs, et laisse la mère se débrouiller pour glaner les aides sociales. Puis il finit par se tirer. La mère sombre dans l'alcoolisme, et les enfants souffrent de la pauvreté, donc ils se débrouillent. Le petit Régis (nom de baptême d'Abd al Malik) est intelligent, il va vite se tenir à l'écart des coups foireux et gagner beaucoup, beaucoup d'argent (avant même de rentrer au collège)sans se faire prendre, sauf, une fois, pour un petit vol de cassettes. Les mémoires de l'auteur se terminent sur ses vingt-huit ans (le livre est sorti en 2004).
    C'est un livre intéressant. Il dit à la fin qu'il a connu une espèce d'âge d'or de la délinquance, que les choses étaient mieux avant. (avant la drogue, l'intégrisme...) Le dernier chapitre, qui s'intitule "En chemin vers l'Autre" est très triste. Il rentre au pays (dans sa cité) après une tournée, le chauffeur de taxi s'excuse de le laisser à l'entrée de la cité, et, près de la porte de son immeuble, les flics de la BAC sont là, qui poursuivent son petit frère...

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  6. C'est quand même bizarre l'idée qu'a eue ce congolais de venir en France et de ne pas vouloir travailler sous la coupe des blancs. Il s'attendait à y trouver qui en France? Des esquimaux, des papous?
    Sinon, je trouve ça petit de voler leur gouter aux gosses blancs. Tout petit.
    D'ailleurs vous connaissez l'adage somalien: qui vole un gouter vole un petrolier.
    Plus on j'y pense, plus je trouve tout cela absurde: des personnes dont on ne veut pas vont dans un pays où ils n'ont pas envie d'aller.
    La colonisation avait au moins cet avantage sur cet absurde mouvement de populations, que si les colonisés n'avaient effectivement aucune envie de voir des colonisateurs débarquer, le colonisateur, lui, était parfaitement content d'occuper de nouvelles terres. Ca crée des liens.
    Prenez les Etats-Unis d'Amerique, où l'on ne sait plus exactement qui a colonisé qui. Les blancs détestent les noirs, qui détestent les latinos, qui détestent les chinois qui détestent tout le monde. Mais, tout le monde est content d'être américain. On imagine mal un afro-américain brandir un drapeau du Ghana lors d'un match de foot ou un latino-américain agiter la bandera vénézuélienne. Et vous savez pourquoi? Parce que les américains ont inventé un nouveau sport auquel le reste de la planète ne comprend strictement rien: le base-ball.
    Tenez, prenez

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  7. Hopla! C'est parti tout seul, mais ça suffira pour aujourd'hui, je sais que vous n'aimez pas les longs commentaires.

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  8. Manutara: bien au contraire, pour les longs commentaires, mais Blogger est sévère avec les prolixes.
    Le père de l'auteur a étudié en France, a obtenu un diplôme de sciences politiques. Il est rentré au Congo avec sa femme et ses premiers enfants pour devenir conseiller d'un ministre, mais quand le gouvernement a changé, il a demandé une bourse d'études pour revenir en France, et s'est installé à Strasbourg.
    Abd al Malik raconte comme il est passé d'un courant islamiste à un autre, comme il a été prédicateur taghlib, comment il a émergé en tant qu'artiste, c'est intéressant.

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  9. Valérie de Haute Savoie: jetez donc un coup d'oeil à ce livre.
    Il n'y a pas beaucoup de livres écrits par des gens qui ont vécu dans une cité, qui y ont vraiment vécu, passé leur enfance et leur jeunesse. Celui-là est presque laconique. C'est un récit où l'auteur ne tombe pas dans l'accusation, le larmoiement, la victimisation. Il raconte, juste.

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  10. Je connais le quartier. Enfin, je connaissais. À l'époque, j'allais coller des affiches antiracistes sur celles des concerts de Michel Sardou ou j'allais prêcher la révolution dans les foyers Sonacotra (à laquelle je ne croyais pas un instant) à de vieux immigrés coincés en France parce qu'ils ne toucheraient aucune retraite dans leur pays ou de plus jeunes pris en otage par des marchands de sommeil dans des squats immondes. Cela date de trente ans.

    Ce quartier avait une réputation épouvantable, digne des 4 000 ou des Tartelets. Peu de gens extérieurs osaient s'y aventurer, c'est loin et surtout c'est mystérieux alors qu'en fait la population et l'habitat n'était pas très différents du Neudorf tout proche. Il avait la particularité d'être totalement enclavé : voie de chemin de fer, autoroute, canal, zone industrielle, tout barre l'accès à cette cité. Une seule voie d'accès depuis le centre. Si on avait voulu créer un ghetto, on n'aurait su mieux faire. Depuis, cela a un peu changé avec les rénovations et le nouveau plan de déplacement, même si cela reste un quartier toujours en difficulté. Ce n'est plus le quartier de Strasbourg qui fait le plus parler de lui lors d'incidents dans l'agglomération strasbourgeoise, mais il traîne encore son ancienne mauvaise réputation et sa légende de tirs à la carabine au hasard. Cela dure...

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  11. "Son père, intellectuel congolais, venu parfaire en France une formation de journaliste, refuse de travailler sous la coupe des Blancs, et laisse la mère se débrouiller pour glaner les aides sociales."

    C'est bien d'être un intellectuel et d'avoir fait des études pour avoir ce genre de comportement, je trouve. C'est très intéressant et tellement prometteur pour l'avenir. ça contribuera grandement à faire fonctionner l'ascenseur social.

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  12. Dominique "son ancienne mauvaise réputation et sa légende de tirs à la carabine au hasard. Cela dure..."

    Je n'y suis pas, mais il y a encore beaucoup d'échos dans la presse. Et dans la description qu'en donne l'auteur, jusqu'en 2004, ça allait en se dégradant. Tant mieux si la situation s'est améliorée depuis.

    Floréal: ce n'était pas un personnage très reluisant, mais il a forcé son fils à travailler à l'école, Personne n'est imparfait.

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  13. Bonjour Suzanne.

    Vous tombez bien car figurez-vous que j'ai "rencontré" dernièrement Abd al Malik. Il est en effet venu à Stras, comme on dit par chez nous, présenter son livre à la librairie Kléber, qui est à la capitale alsacienne ce que la librairie Mollat est à la capitale aquitaine. Enfin bref.
    Eh bien, j'ai vu que nombre de "jeunes" - je n'ai pas trouvé d'autres substantifs... -, venus du Neuhof, de Hautepierre, et autres joyeusetés, étaient présents et ma foi très attentifs. Comme si, en définitive, Abd al Malik avait pris le relais de sa vieille fille d'institutrice...

    Et s'est ainsi qu'Allah est grand, comme disait le grand Vialatte.

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  14. Christophe:... et que nous vivons une époque formidable, comme disait le cher Philippe Meyer.

    Pour ce que vous dites de l'auteur: il y a sans doute de ça.

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  15. Je ne l'ai pas lu, mais je l'ai vu, il est beau, fascinant, magnifique. Je donnerais beaucoup (heu, je n'ai pas grand chose à donner) pour avoir d'aussi belles mains, rien que ça.

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  16. Suzanne, ce quartier reste très agité et la situation est toujours sous tension (comme en témoignent les incendies de fin d'année), mais ce n'est plus LE quartier réprouvé de l'agglomération ou de l'Alsace. Il a été rénové, un peu désenclavé, des personnes ont été déplacées, et puis les violences sont apparues aussi ailleurs comme à Cronenbourg, la Montagne verte, Hautepierre, la Meinau, le Port-du-Rhin. Il s'est donc banalisé alors qu'avant il y avait une vraie frontière entre le Neudorf (populaire, mais dans le sens traditionnel) et le Neuhof (qui abritait en fait le quart-monde alsacien, les yennisches sédentarisés ou les immigrés sans aucune relation). Les voitures peuvent encore brûler à l'occasion même s'il y en a moins qu'avant, mais ce n'est pas plus que dans d'autres quartiers qui eux se sont déclassés depuis lors. C'est un peu moins pire qu'autrefois et ce n'est pas parfait, mais par rapport à ce que j'ai connu il y a eu un progrès très relatif pour ce quartier. Reste le fait qu'il est toujours le symbole de tous les quartiers difficiles en Alsace (juste en rivalité avec Bourtzwiller à Mulhouse) alors qu'il ne le mérite plus tout à fait. Les réputations sont longues à se défaire. Surtout quand certains caïds tentent de les entretenir en vivant sur des images anciennes.

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  17. Dominique: merci pour ces précisions.

    Mère Castor: midinette, va !

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  18. Suzanne, merci d'avoir commenté ce livre, je vais le lire. Je vous ai demandé votre pensée, car j'avais peur que vous ne tombiez dans le bla-bla "colonisateurs-colonisés" si à la mode actuellement, cela ne me semblait pas votre genre. Vous ne parlez pas des textes des chansons d'Abd-El-Malik ... ils sont bons. A vous lire encore.

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  19. Bon, en gros, il nous dit très tranquillement qu'il était un skin noir, qu'il a créé la situation qu'il découvre quelques années plus tard, et viendra geindre à la télévision qu'il est victime de discrimination.
    Je me souviens de lui sur le plateau de ruquier expliquait son effroi face à l'emploi du mot "racaille" par sarkozy. Et c'est cet ancien skin antiblanc qui donne des leçons de morale ? Son père lui-même était raciste, explique-t-il.
    Quand je lis vos commentaires, je suis assez atterré de l'acceptation de ce fléau, que vous faîtes. Vous devriez être des soldats, or vous êtes vaincus par avance. La discussion porte essentiellement sur le point de savoir s'il faut "neuhof" ou "le neuhof" lol

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  20. Ruben : "soldats", "vaincus", on n'est pas en guerre.

    Vous avez raison pour "tranquillement". Il raconte tranquillement sa vie. Il raconte tranquillement qu'il a racketté des petits Blancs (mais où est le mal ?). Il raconte tranquillement qu'il a été racketté par son frère aîné pendant des années (mais où est le mal ?) On ne peut pas en vouloir à un enfant, n'est-ce pas ? Il raconte tranquillement comment il est devenu un prédicateur islamiste. On en pense ce qu'on veut, mais c'est un témoignage. Il y a aussi ce dont il ne parle pas. Les filles, par exemple. Avant d'envisager le mariage, il n'y a pas de femme, de fille, dans sa vie. Il parle pendant deux lignes de son institutrice, il y a une page sur sa mère au début du livre, puis rien. A-t-il des soeurs ? On ne sait pas. Les femmes sont absentes, ne comptent pas.

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  21. Des soldats...

    pfffff.... "vaincu d'avance"

    Qu'est-ce qu'il faut pas entendre comme connerie tout de même... Ah, on a bien de la chance de vivre cette époque de merde, coincé entre les "prédicateurs" et les petits "soldats blancs".

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Modération parfois, hélas, mais toujours provisoire, ouf.