jeudi 14 janvier 2010

Comment être professheureux en Seine Saint-Denis

 Le philosophe Yves Michaud et Sébastien Clerc, professeur, animent dans dix lycées des conférences sur le respect. Leur public : les enseignants.

Vingt-cinq professeurs du lycée professionnel Louise-Michel d’Epinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, sont venus assister dans la salle de cantine à une conférence-débat sur «le respect à l’école». Face à eux, Sébastien Clerc, enseignant dans un lycée pro du Blanc-Mesnil, également dans le 93, leur explique des «trucs» pour asseoir leur autorité en classe. Juste avant, le philosophe Yves Michaud (1) a introduit la séance en parlant des concepts de respect et d’autorité.
Sébastien Clerc explique comment il instaure un climat de respect. Après le succès de son livre (2), l’académie de Créteil lui a demandé d’organiser, pour les professeurs débutants, des sessions de «tenue de classe», qui ont été généralisées à la rentrée.

Je ne vais pas pomper tout l'article de Libération , je vous suggère de le lire dans son intégralité. Pour ma part, je le trouve triste à en pleurer. Je trouve ça triste qu'on s'adapte à de telles situations. Qu'on en vienne à offrir des cours de survie en milieu hostile aux enseignants qui ne tiennent pas le coup sous les injures, au milieu des bagarres. Quand j'ai vu à la télévision La journée de la jupe, j'ai aussitôt pensé que ce médiocre téléfilm serait un film historique  en ce qu'il susciterait des réactions et débats qui délieraient les langues et délivreraient les témoins de l'accusation de fantasme xénophobe, jeunophobe, banlieuphobe, tout ce qu'on voudra de phobe, d'aigri, de rance et de réactionnaire moisi ou de facho nauséabond. Si on enlève de ce type de scénario de mauvaise série, le kidnapping, les hurlements adjaniesques, les petites choses comme ça, eh bien nous y sommes, et nous ne nous en sortons pas très bien.

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10 commentaires:

  1. Pour les commentaires, je passe mon tour. Peut-être parce que mes parents étaient professheureux en Côtes d'Armor et n'allaient pas à reculons faire ce qu'ils avaient choisi de faire par vocation.

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  2. Mieux vaut y aller à reculons et sans tourner le dos.

    La Bretagne il y a dix ou vingt ans et l'Ile de France maintenant ce n'est pas tout à fait pareil. Un peu facile de taper sur les profs.

    Votre article, Suzanne, est catastrophiste et optimiste à la fois.

    Catastrophiste en laissant entendre qu'il y a une situation générale alarmante, ce qui est faux.

    Optimiste en laissant entendre que l'on peut dire la vérité sur la vie quotidienne dans les établissements scolaires difficiles. Ce n'est pas vrai. Nous affolerions trop le monde, on nous dirait que nous exagérons. J'enseigne dans un lycée professionnel de ZEP , c'est une curieuse garderie d'enfants qui ont vingt ans en CAP, pour certains qu'on garde afin de leur fournir des certificats de scolarité qui leur éviteront l'expulsion. Quand ces élèves sont des jeunes à qui l'on peut apporter quelque chose, pourquoi pas ? Je pense aux filles qui ôtent leur hijab avant d'aller en cours et le remettent aussitôt sorties. Je crois que nous représentons pour elles un temps et un espace de liberté. Mais quand il s'agit de dealers, de caïds en tous genres, de jeunes adultes à la limite de l'analphabétisme violents et trouble-fête, nous avons du mal. Beaucoup de mal.

    Tout ça n'empêche pas Nicolas que la vocation n'est pas morte, mais méchamment amochée.

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  3. Je dois dire que les propos de S. Clerc sont consternants lorsqu'il prétend donner les bonnes recettes de tenue de classe et qu'on le reconnaît dans son académie comme le spécialiste de la chose. Il y a vingt ans au moins que ce qu'il propose comme "kit pour débuter" se pratique, bien avant qu'il ne soit lui-même prof, et ce y compris dans les campagnes les plus reculées. Il a juste trouvé un job facile : le prof de banlieue déjà éprouvé qui va enseigner comment enseigner aux néo-titulaires qui débarquent dans la jungle (bouquin à la clé, heures sup d'IUFM payées grâce au bon vouloir du rectorat, décharges horaires en sus et invitations à la télé, le tout pour dire des banalités que tout prof sensé a déjà entendues). C'est une nouvelle profession : le prof de banlieue dans son livre qui explique que c'est difficile d'enseigner en banlieue, l'instit rebelle aux nouvelles directives dit-elle et fidèle aux méthodes traditionnelles du manuel de son enfance parce que sinon vos enfants ne sauront jamais lire, mais elle ne sera jamais sanctionnée.

    C'est la grande foire aux réacs en quête de pantouflage, de célébrité dans les émissions grand public et de rentes à vie. Ils ont trouvé le bon filon : dire que l'école va mal depuis peu. Et ils ont trouvé la solution : les méthodes d'il y a plus de quarante ans. Comme si elles avaient cessé d'exister ! Il y en a qui se moquent un peu du monde.

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  4. Dominique, je me suis dit la même chose: en voila un qui a trouvé le bon filon, et qui a sauvé sa peau.
    L'école va de plus en plus mal, mais ce n'est pas récent.

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  5. @Isabelle T:
    "Catastrophiste en laissant entendre qu'il y a une situation générale alarmante, ce qui est faux"

    Et bien, je ne sais pas à partir de quel moment on entre dans la catastrophe. Evidemment, ce n'est pas comparable au grand tsunami de 2004, ni au tremblement de terre de Haïti, mais tout de même!
    On ne peut pas dire que ça tourne rond dans l'EN. La suite de votre commentaire l'atteste.

    Voyez le blog SOS Education.

    http://soseducation-leblog.com/

    Quant aux planqués, je suis d'accord avec vous. En allant jusqu'aux chefs d'établissement, qui se sont empressés d'arrêter d'enseigner. Eux ne sont pas de vrais planqués, mais la tranche de jambon dans le sandwich, si j'ose dire. Mais les Inspecteurs, les attachés, les chargés de mission variés, les consultants qui fleurissent à chaque réforme...

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  6. En effet, le billet de Libé n'est guère brillant (manque le conseil du parfum pour le prof, Démagogie n°5 je suppose).

    Je trouve que les commentateurs commentent brillamment ici. Il faut dire que Suzanne récompense les meilleurs ! Je dois avouer que je ne sais qui doit saluer le premier, le plus âgé, le plus titré, le plus petit... Je n'ai pas eu mes deux heures de cours de politesse, cela se ressent !

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  7. Mtislav: d'abord le pape, toujours le pape. Et après, j'hésite entre le cardinal et la reine.

    Dominique: tout le monde sait que ce qui compte en CP, c'est d'avoir une bonne maîtresse ou un bon maître patient, gentil et ferme, le moins absent possible, et des enfants matures pas trop malheureux et dormant assez, et qu'importe la méthode, toutes fonctionneront. Après,je ne sais pas. Je ne sais pas comment font les enseignants pour vivre dans des classes aussi houleuses, mais j'ai l'impression qu'ils n'ont pas besoin qu'on leur envoie des profs de politesse. Enfin, pas en priorité.

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  8. Suzanne, il me semble que la base, c'est pour l'enseignant d'être d'abord soi-même, on n'enseigne pas ce qu'on sait, mais ce que l'on est. Un autre point est de faire ce qu'on dit : il ne faut pas annoncer une punition si on ne la donne pas ou si on le fait avec retard. Si on est aussi en contradiction avec l'institution ou le milieu ou la hiérarchie et que l'on tente d'y survivre, cela use très vite.

    Ensuite, il faut qu'il y ait des règles simples et surtout applicables par tous sans aucune possibilité de dérive. Cela veut dire d'abord un fonctionnement par équipes pédagogiques qui se parlent et un établissement où tout le monde tient le même discours, applique les mêmes codes et les mêmes sanctions. C'est le collectif qui gagne toujours. L'injustice et l'arbitraire sont très vivement ressentis à l'école.

    Trois ou quatre exemples d'expériences diverses.
    - Un collège avec une population d'origine militaire pour moitié. Les gamins se défoulent à l'école parce qu'ils ne peuvent le faire à la maison. La disproportion des sanctions y est énorme, une heure de colle pour un chewing-gum chez un enseignant ancien et rien pour des insultes violentes envers un autre élève lorsque je demande qu'on marque le coup puisque ce n'est pas la première fois. Cela finit mal puisque je ne suis plus crédible, mes punitions sont toutes refusées lorsque je les annonce.

    - Un collège ZEP urbain avec une population très diverse. Je suis surpris quand tous les élèves me disent "bonjour" en entrant, juste après que je les aie fait remettre en rang et que j'ai établi le silence dans le couloir. Je dois répondre "bonjour" à chacun et la mise en place d'une règle aussi simple que celle-là permet de faire cours dans le calme et le respect alors qu'on n'est pas dans les meilleures conditions. Mais les enseignants ne jouent pas perso : on y a des cahiers de rapports d'incidents afin que ce ne soit pas deux mots devant la machine à café ou la photocopieuse. On y pratique aussi l'exclusion-inclusion qui permet à l'élève de ne pas se considérer comme en vacances.

    - Un petit collège rural (campagne totalement arriérée et loin de tout) où il n'y a pas de marquage au sol dans la cour et où les élèves entrent par n'importe quelle porte, voire arrivent dix minutes en retard sans qu'un surveillant ne s'inquiète et il n'existe aucune sanction pour les retards alors que les trois-quarts des élèves sont demi-pensionnaires. Le couloir du bureau du principal est barrée par une pancarte "Adressez-vous d'abord au secrétariat pour rencontrer le principal" (je ne l'ai jamais vu pour échanger deux mots, un cas unique dans ma carrière). On peut y mettre un élève à la porte pendant une heure sans que personne ne s'inquiète et chaque prof ne se pose pas de questions au sujet de ces élèves qui font le pied de grue devant des portes. Mon expérience la plus désastreuse qui se termine par un accident physique pour lequel on ne me demandera aucun rapport pour l'assurance.

    - Un lycée urbain qui recrute surtout en ZEP. On tente de faire un suivi comme dans le cas 2. Les enseignants peuvent poser des colles, mais ils ne savent jamais si elles ont été vraiment été effectuées et elles se font dans des petites salles ouvertes et en autodiscipline avec des demi-pensionnaires. La seule vraie sanction est alors l'exclusion qui n'est pas souvent prononcée, car elle apparaît dans les statistiques scolaires. Pourtant, on y balance des palmes de plongée à la tête des profs ou l'on y déclare "à poil !" "parle à ta gueule !" face à des comédiens venus pour un projet culturel. Cela se termine aussi mal, je suis menacé de mort (toi, je vais te shooter, t'as pas intérêt à te promener en ville parce que je vais pas te rater) alors par un élève qui n'admet pas sa note et qui n'aura que deux jours d'exclusion.

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  9. Suzanne, je trouve inadmissible que votre compte n'accepte pas plus de 4096 characters (en anglais dans le message d'avertissement).

    Que dire ? Un enseignant n'existe pas seul. Il fait partie de la classe dont il a la charge, d'une équipe pédagogique qui doit se parler, d'un établissement qui se donne un mode de fonctionnement adapté, d'une politique plus générale qui pense que l'on n'est pas là pour être là, mais pour servir aux autres. Et c'est seulement si l'on agit ensemble que c'est efficace.

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  10. Dominique: rien à redire à votre long commentaire, merci.

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Modération parfois, hélas, mais toujours provisoire, ouf.