vendredi 6 août 2010

Pauvres livres


J'ai acheté un carton de livres chez un bouquiniste, l'année dernière. Parmi de vieux Série Noire, SF ou Gallimard déchirés des années cinquante, se trouvait Martin Eden. L'envie m'a pris de le relire; sur la page de garde il y avait, écrit d'une belle écriture fine et douce:
à mon fils chéri pour son seizième anniversaire
amour de sa mère.
Le livre n'avait pas été ouvert. En cherchant un passage que j'avais aimé, j'ai fait tomber un billet de cent francs, un vieux billet. J'ai voulu prendre la page en photo puis j'ai posé l'appareil. Pauvre mère inconnue, je ne vais pas exhiber ses mots d'amour sur un blog.
Je ne connais pas de pensée plus triste, vos enfants vendent les livres que vous leur avez offerts, vous mourez et vos livres se retrouvent au vieux marché, ou chez le bouquiniste.

***

26 commentaires:

  1. Il y eu une justice immanente. L'ignare imbécile, inculte et ingrat qui a revendu l'ouvrage sans même l'ouvrir, a, ce-faisant, perdu les 100 francs, ce qui pouvait représenter une belle somme à une certaine époque.

    RépondreSupprimer
  2. D'accord avec L'Hérétique.

    Moi, pour éviter cela, j'ai déjà légué ma bibliothèque à mon neveu Adrien, dont le sais qu'il aime et pratiquer la littérature.

    RépondreSupprimer
  3. Ce coup de projo sur une micro-tranche de vie d’une inconnue et de son fils est d’une tristesse ! Et d’une banalité aussi. Et pourtant il illustre par l’exemple une multitude de petits faits anodins qui pincent le cœur de bien des mères.

    Il illustre accessoirement le fait que pas plus que de libraire il ne reste de bouquinistes. Il n’y a plus que des marchands de livres ne faisant même plus le tri que faisaient les chiffonniers d’autrefois !

    RépondreSupprimer
  4. Moi, je veux croire qu'il l'a lu très précautionneusement au point de nous faire croire qu'il n'a pas été ouvert.

    ---

    L'hérétique,

    Il n'est peut-être ni ignare ni imbécile (ingrat peut-être), il a peut-être simplement des gouts différents de ceux de sa mère.

    Il m'est arrivé bien souvent de ne pas ouvrir des livres qu'on m'avait offerts et ce, pour des raisons bien diverses.

    (je ne les ai certes pas revendus)

    RépondreSupprimer
  5. L'homme est prompt à condamner et les juges de paix courent les rues.
    Je me conterai de trouver cette histoire très belle. J'espère qu'elle inspirera un nouvelliste ou un romancier.

    Bonne soirée,

    Roger

    RépondreSupprimer
  6. Lhérétique : il ne le saura jamais, et tant mieux. Ce n'était pas forcément un imbécile ignare, mais quelqu'un qui n'avait pas de sensibilité de lecteur. Ce n'est pas héréditaire.
    Dorham: qu'il y ait dans un livre l'âme (je ne sais pas comment le dire autrement)de celui qui vous le tend, vous le transmet, n'est pas arrivé à la conscience du fils. Sa mère lui restée en partie inconnue, elle est beaucoup plus morte, elle a beaucoup plus mouru comme disent les enfants que si son fils avait lu ce livre et qu'au détour des phrases surgisse sa voix, son sourire, son image.
    Le Plouc émissaire: oui, aussi, pour les bouquinistes. Il y a encore des antres magiques (si vous passez par Bécherel...)
    Le chemin des grands jardins: merci et bienvenue, je suis allée faire un petit tour sur votre blog et j'aime beaucoup le gisant de galets, j'y reviendrai.
    Didier: vous avez de la chance !

    RépondreSupprimer
  7. Au contraire, à mon sens rien de triste, je me demande si retrouver ces livres chez un bouquiniste n'est pas quelque chose d'extrêmement émouvant, les livres ne sont pas faits pour être emprisonnés dans des bibliothèques, la valeur que l'on prête à un livre ne réside pas dans la notion de propriété mais dans ce que sa lecture nous a procuré, tout comme dans le geste du donateur. La mémoire sert à ça aussi, pas qu'à emmagasiner des informations . Remettre ce livre en circulation n'est pas forcément renier le don ni signifier que l'on se fiche du donateur. La transmission des savoirs et des émotions est aussi une belle idée. Ma fille lorsqu'elle était enfant et ado mettait tout son argent de poche chez le bouquiniste, la plupart de ses livres portaient mention d'un don, d'une dédicace familiale ou amicale, ça la faisait rêver, elle imaginait alors leur vie à partir de ces quelques mots ...Pour ma part mon livre le plus précieux est un exemplaire de l'Histoire de la littérature française de Lanson daté de 1910, que j'ai dégoté à 15 ans sur un marché au puces, annoté de partout au crayon de papier par des mains anonymes, avec cette dédicace "à toi ma mie, parce que la vie est avant tout là " Il ne m'a jamais quitté, mais sans doute le laisserais-je un jour sur un banc d'un jardin public...

    RépondreSupprimer
  8. Anne: je vous remercie pour ce joli commentaire.
    Je viens de lire "Le livre ne mourra pas", un dialogue Eco/Carrière, et les auteurs rejoignent assez votre façon de penser. Je suis attristée, moi, de les entendre dire (non, de les lire écrire) qu'après leur mort, leur bibliothèque ne restera pas chez leurs enfants, mais sera revendue sans doute, s'ils ne l'ont pas léguée avant à une université, mais eux n'ont pas l'air de trouver cela attristant du tout.

    RépondreSupprimer
  9. Tout le monde parle si bien ici, et j'arrive si tard.
    Ce n'est pas triste, puisqu'il est tombé entre vos mains, Suzanne. Le pire pour les livres n'est-il pas de les voir entassés puis brûlés, ou bien les pages à l'air au fond d'une benne à papier de la déchetterie. Celui-ci a changé de mains, un peu plus riche que quand il a quitté la librairie, et nous a valu votre joli billet.

    RépondreSupprimer
  10. Et si tout simplement, ce fils avait choisi (et oublié) ce livre offert par sa mère, pour y cacher quelques économies ?
    Mon père a donné dernièrement à mon fils des livres de médecine, celui-ci se destinant à cette profession et mon père la quittant. Et en feuilletant un de ces livres, est tombé un billet de 500 francs, caché par mon père sans doute (et pourtant, ces livres, il les avait lus)

    RépondreSupprimer
  11. Valérie de Haute-Savoie: je n'y avais pas pensé. Pourquoi pas ?

    Mère Castor: vous êtes une bonne personne, à n'en pas douter. Toujours une parole apaisante. J'apprécie beaucoup votre gentillesse.

    RépondreSupprimer
  12. à mon fils chéri pour son seizième anniversaire
    amour de sa mère
    ça pouvait très bien être un message codé et si ça se trouve le numéro du billet de 100 balles donnait la clé de décryptage.

    D'ailleurs le Gallimard déchiré des années cinquante date de la guerre froide et les boutiques de bouquinistes servaient fréquemment de boîtes aux lettres mortes.

    Le profil idéologique de Jack London, proto-bolchévique auteur du Talon de fer est à cet égard tout à fait éclairant...

    RépondreSupprimer
  13. Ste Claire 1978. Pour la fête de notre grande fille. Souvenir de La Roche.
    Papa Maman


    Telle est la dédicace, tracée au stylo à bille vert d'une écriture un peu maladroite, et pour tout dire presque enfantine, qui figure sur un petit dictionnaire de rimes de format de poche que j'ai dû acheter dans une brocante il y a une vingtaine d'années.

    Je me suis souvent représenté la dédicataire comme une jeune fille, à coup sûr à peu près du même âge que moi, romantique et solitaire, aux longs cheveux châtain (à cause, sans doute, de Cyrielle Claire, ne cherchons pas plus loin), qui, le soir venu, plutôt que de regarder Guy Lux, écrivait des vers dans sa chambre d'adolescente.

    Et qui, naturellement, une fois devenue adulte, a fourgué à un bouquiniste un plein carton de ses lectures de jeunesse, dont le précieux dictionnaire, en se disant « pas mécontente de se débarrasser de toutes ces conneries, parce que, merde, ça commençait à faire un peu chier, quoi ».

    Le plus triste, dans cette histoire, reste quand même qu'il n'y avait pas de billet de cent balles dans le bouquin.

    RépondreSupprimer
  14. Chieuvrou: votre conclusion est navrante, mais je ne gronderai pas trop, pour avoir eu le plaisir de lire vos vers, parfois. (évidemment, vous étiez sous le patronage de Sainte Claire et je leur trouve maintenant un peu moins de mérite)

    Malavita: chez les bouquinistes qui ont boite aux lettres mortes, on trouve aussi des poulets. Et ne dites pas de mal de ce grand auteur qu'est Jack London. Non mais !

    RépondreSupprimer
  15. Ah, pardon, Suzanne, j'écris mes vers hautement inspirés sans la moindre béquille, armé de ma seule plume d'oie et vêtu de ma chemise de lin blanc, comme Francis Lalanne.

    Euh... Oui, je sais, il y a des références à éviter, quand même... Bon, je l'avoue donc, il m'arrive d'avoir recours à mon petit dictionnaire de rimes, tel un rappeur de base, mais, cela étant, jamais pour les rimes en -omphe.

    RépondreSupprimer
  16. D'un gros billet à un joli billet, je dis qu'on n'a pas perdu au change.

    RépondreSupprimer
  17. Pour les rimes en : -omphe, il y a maintenant : à DONF ...
    oui, je sais, c'est consternant !

    RépondreSupprimer
  18. Oui, s'il avait connu cette rime, Corneille n'aurait pas eu besoin de biaiser, et le comte de Gormas aurait pu ainsi tout naturellement s'exclamer :

    À vaincre sans péril, sans gloire l'on triomphe :
    Trop peu d'honneur pour moi, cette victoire à donf.

    RépondreSupprimer
  19. Solveig et Chieuvrou: rien d'autre pour les rimes en "omphe"? On peut faire un petit écart en mettant un "onfle".

    On frappe sans péril un poète qui ronfle
    Mais critique un rappeur et il te cogne à donf

    Christophe: merci !

    RépondreSupprimer
  20. si la licence poétique de Suzanne est admise, alors :

    Voyez vous cette blanche voile qui gonfle ?
    C'est ce farceur d' Eole qui se lâche à donf !

    Que les Muses nous pardonnent ...

    RépondreSupprimer
  21. Solveig: les muses vous pardonneront peut-être, et moi aussi, mais pas Chieuvrou s'il passe par là avec son compte-pieds.

    RépondreSupprimer
  22. Et si on fait du rap, les muses sont carrément indulgentes :


    À Paris 8 il était maître de conf'
    Dans les manifs il y allait à donf
    Contre un CRS armé d'un tonfa
    Au corps à corps un jour il triompha.

    Mais son nez cassé fait maintenant qu'il ronfle
    Sa p'tite amie lassée hurlait vraiment ça m' gonfle.

    Si ça continue j' retourne à Honfleur
    Chez ma mère au moins ça s'ra non-fumeur

    RépondreSupprimer
  23. Bien sûr, si vous n'aimez pas le rap, c'est que vous êtes aigri...

    RépondreSupprimer
  24. Pour mes quinze ans, ma mère m'avait acheté les trois tomes des Memoires d'Outre- Tombe éd. Au livre de poche ( Tu es sûr que tu liras tout? Bon!) et a écrit sobrement : bon anniversaire, bon quinzième anniversaire, bon courage sur chacun des tomes violet vert et jaune de cette éd. populaire que j'ai bien du lire 4ou 5 fois en entier dont une fois juste après les avoir eus, bien sûr. Ce qui contrairement aux apparences ne m'a pas rapproché de ma mère mais éloigné encore. Donc votre non lecteur présumé était peut être très proche de la sienne...

    RépondreSupprimer
  25. Geargies: les Mémoires d'Outre-tombe à quinze ans ? Vous m'épatez. Quand j'avais quinze ans, je lisais Dostoïevski, Balzac, Zola, Sartre et Camus, et bien des écrivains que je n'aime plus beaucoup maintenant, mais pas Chateaubriand ou Proust que j'associe toujours à l'âge mûr. (C'est un peu idiot, je sais)

    RépondreSupprimer
  26. Ah! Je lisais les autres aussi! Mais effectivement j'ai commencé à lire Proust à 17 ans , ce qui par ailleurs donne une sacrée longueur d'avance pour ce qui est " d'avoir le temps devant soi" pour le lire... ;-)

    RépondreSupprimer

Modération parfois, hélas, mais toujours provisoire, ouf.