Il faut parfois passer une nuit à l'hôtel. Vous je ne sais pas, mais moi je ne suis pas riche. Je ne fréquente donc pas les établissements huppés, et quand je lis ce que Renaud Camus écrit dans son journal sur la qualité de sommeil des hôtels pour riches, je me dis que la plupart de mes hôtels pour pauvres ne démérite pas, loin de là. J'ai même connu des hôtels bon marché qui frôlaient le paradisiaque, dont un à Limoges dans le quartier de la gare, tenu et animé par une aimable rousse. On passait derrière l'accueil, et on rejoignait les chambres sobres et proprettes disposées autour d'une cour carrée fleurie, tapissée de passiflores. L'endroit était bondé de gens qui ne hurlaient pas, ne claquaient pas les portes la nuit et petidéjeunaient sans mâcher la bouche ouverte. Il y eut une autre chambre, à Saint-Nectaire, dont les fenêtres ouvraient sur la cathédrale romane qui est une des plus belles cathédrales romanes au monde, n'ayons pas peur de l'affirmer. On y mangeait (on y mange peut-être encore, mes souvenirs se rapportant à ce lieu ont dix ans) une excellente truffade dans une salle de restaurant si kitsch qu'elle aurait pu figurer tel quel dans un musée du kitsch, en tant que performance artistique inégalable. L'aubergiste ressemblait d'une façon hallucinante à Patrick Timsit, la chambre sentait la cire, le feu de bois et l'orange, et tout vibrait quand les cloches de la cathédrale résonnaient. Il y eut cette chambre d'hôte en face de la cathédrale Sainte-Foy de Conques. Je regardais par la fenêtre les foules de touristes qui mangeaient des glaces et prenaient en photo le tympan, j'entendais ceux qui braillaient le plus fort commenter les vitraux de Soulage - comme c'est moche, comme c'est admirable - et je voyais les pèlerins s'abattre, épuisés, devant la maison des pèlerins en attendant l'ouverture des portes. Et, la nuit, le silence magnifique.
L'hôtel où j'ai passé une nuit le mois dernier se tenait dans une petite moyenne, assez basse la moyenne. La douche fuyait en chuintant et toussait parfois, même quand on ne l'utilisait pas. Le lit avait un matelas neuf, mais la moquette alopécique formait des cloques qui pschittaient sous le pied. J'ai failli m'endormir, quand les voisins sont arrivés. Là, j'ai commencé à penser de très vilaines choses à propos de l'isolation phonique des cloisons, puis à propos du couple voisin. Le type s'est mis à chanter, ce n'était presque pas désagréable car il avait une belle voix de baryton, bien juste et bien posée, mais "je suis malade" de Serge Lama à minuit, c'est moyen. Chante moins fort, Freddy, susurrait une voix fluette, tu vas déranger la dame dans la chambre d'à côté, je viens de l'entendre soupirer et tourner les pages de son livre. Bon, elle a juste dit la première partie de la phrase qui s'arrête à "déranger", mais elle aurait pu dire le reste, on entendait tout, vraiment TOUT. Freddy, pas mauvais bougre au fond, a fredonné autre chose sur un ton plus bas. Puis j’ai entendu leur douche à eux, raclements de tuyaux, chute de flacons, rots de lavabo, et ce qui devait arriver arriva, ils ont commencé à gémir, elle sur le mode tourterelle, lui sur le mode taureau de Camargue, mords pas si fort Freddy, laisse-toi faire Caroline, putain laisse-toi faire. Vu comme les choses s’engageaient, je me suis dit qu’ils en avaient pour cinq minutes au maximum, et que Freddy et Caroline s’endormiraient ensuite dans les bras l’un de l’autre, pour leur plus grand bonheur et pour le mien, qui m’importait alors davantage.
Malheureusement, on ne peut pas faire confiance aux hommes. Tous des sales types violents, égoïstes et impératifs. D’irrécupérables ennemis de classe, comme nous le serinent les féministes absolues. Quand la mâle voix du Freddy s’est adoucie et enrichie de trémolos « mais pourquoi tu veux plus me sucer ? Ça fait combien de temps que tu m’as pas sucé, hein, Caroline ? Allez, fais moi plaisir, suce-moi… » j’ai eu l’intuition que l’affaire allait durer plus longtemps que les cinq minutes espérées. Allez, suce-le, Caroline, vite fait bien fait, qu’on en finisse et que je dorme, pensai-je de toutes mes forces. J’entendais les draps bouger, les coups dans le mur. Puis Caroline : « pose ce gun, Freddy, POSE CE GUN, je ferai ce que tu voudras, TOUT CE QUE TU VOUDRAS mais pose ce gun. »
Aïe aïe aïe… J’aurais bien crié un truc du genre « eh, ça va pas là dedans ? Arrêtez ou je préviens les flics, hein ! » Mais j’avais peur que Freddy, de dépit, ne file une tarte à Caroline ou pire encore. Et un coup de gun à moi pour effacer le témoin. J’ai attendu deux secondes. Puis Caroline, sur un ton suraigu « t’es dégueulasse, Freddy, j’te l’aurais fait quand même, j’vais t’le faire, mais pose ton gun ! ».
Je suis allée à l’accueil. Le couloir était dans le noir, et, au bout, un écran d’ordinateur éclairait la dame de l’hôtel, rousse quinquagénaire aux yeux brillants qui tchattait sur un site « rencontres moins de trente ans ». C’est pour la douche ? m’a-t-elle demandé. Je lui ai expliqué l’affaire et l’urgence de l’affaire. Elle m’a adressé un regard de Mado maquerelle puis quelques paroles apaisantes dans le style chacun chez soi et on ne se mêle pas de la sexualité des autres. Oui, mais quand même, ai-je objecté, sous la menace d’une arme… Ouais, a-t-elle répondu, mais je les connais. Ils viennent tous les ans, ils font le salon de l’habitat, ils restent ici trois nuits. Le plus chiant, c’est qu’y vous empêchent de dormir, mais vous inquiétez pas pour la p’tite, c’est leur façon à eux de s’amuser.
On a discuté cinq minutes du salon de l’habitat et de la TVA hôtelière.
De temps en temps la terre penche. J’avais cette impression courante de vivre des époques mélangées et de réagir à contre temps, quoi que je fasse. Je suis retournée me coucher. Caroline avait fini ses œuvres ou bien elle était morte, Freddy ronflotait.
Le lendemain matin je les ai vus à l’accueil de l’hôtel.
Caroline mesurait près de deux mètres, avait un corps de nageuse Est-Allemande, un cou de bœuf, une tête de boxeur posée dessus et des cheveux drus et noirs coiffés en brosse. Freddy le baryton ressemblait à un ange de Fra Angelico, atteignait la taille d’un enfant de douze ans, et démêlait ses boucles blondes en les étirant avec ses doigts longs, fins, blancs et roses.
Oui.
RépondreSupprimerVous racontez bien les histoires.
Et je m'ennuyais de vous.
J'en avais marre de lire des conneries sur le net. Il n'y a que des conneries sur le net. Je dis bien "que" des conneries, ce qui inclut absolument tout le monde. Lassé des blogs, de les contempler tourner en rond, déblatérer leurs débilités pseudo-intelligentes, j'en étais réduit à lire des articles wikipedia pour me mal-culturer !
Dorham: il faut lire de vrais livres. (ou alors, viens, mon amour, allons l'hôtel, j'en connais des qui..).
RépondreSupprimerVous vous faites rares mais ça fait du bien de vous lire dans des "tranches de vie" comme ça...
RépondreSupprimerFaites un effort, au moins pour sortir Dorham de son wikichose (il en sort très bien ailleurs d'ailleurs..., méfiez-vous, il doit dire ça pour vous séduire...)
Oui, belle histoire.
RépondreSupprimerMais si vous aviez eu peu de jugeote, vous seriez allé le sucer vous-même dès le départ et vous auriez gagné une heure de sommeil.
Oups ! je n'avais pas lu votre réponse ; je rends les armes...
RépondreSupprimerSuzanne,
RépondreSupprimerVous m'avez pris pour qui ? J'en lis de vrais livres. Mais pas au boulot, pas le matin quand je bois mon café ou que je me gratte les testicules devant l'ordi.
Je lis Buzzati, mais c'est chiant. Je suis passé à Will Self - un chic type ce Will Self - après avoir eu trop de lectures pieuses...
Cher Plouc,
RépondreSupprimerJe n'ai pas besoin de séduire pour séduire. Je suis un vrai aimant à gonzesses. Je ne sais pas pourquoi. C'est un truc de rital, vous ne pouvez pas comprendre...
Nicolas: oui ben vu comme était la Caroline, je n'en serais pas sortie vivante. Et puis, je vous rappelle que je suis une dame.
RépondreSupprimerPlouc: merci beaucoup !
Dorham: mais qu'est-ce que vous trouvez chiant dans Buzzati ? Pas relu depuis longtemps, mais j'aime ses nouvelles. Will Self, ça ne me dit rien. Et les lectures pieuses, ça apieusit et les pieuseries... hum.
Je trouve ça chiant, oui, ces nouvelles drolatiques, fantastiques ; en fait, je crois que je n'aime pas la fantaisie. Enfin, pas celle-là... J'ai lu Les Nouvelles Inquiètes et j'étais pressé de terminer car je m'interromps jamais une lecture... Juste deux ou trois nouvelles assez bien senties sur la neurasthénie... Bref, bon, ça m'ennuie...
RépondreSupprimerDans Bestaire (ou un titre de ce genre), j'avais trouvé "la poule zéro" extraordinaire.
RépondreSupprimerEt les nouvelles ne sont pas faites pour être lues l'une derrière l'autre. Oublier une recueil dans sa voiture, par exemple, et le lire dans les embouteillages. Dans es salles d'attente. Dans les toilettes.
(mes dernières meilleures lectures de nouvelles: Nabokov, Blixen et Highsmith)
Mais, roooo,
RépondreSupprimerje lis les recueils de nouvelles comme je veux à la fin !!!
Dorham: mais oui ! (chuis méremptoire à en faire peur. Mais oui je les lirai ces nouvelles, mais pose ce gun !).
RépondreSupprimerAh ben, je commençais à m'inquiéter de vous, depuis l'temps !
RépondreSupprimerEh bien, moi, au risque de me répéter, et puisqu'il est question de nouvelles, je re-conseille Dame Flannery O'Connor.
RépondreSupprimerJ'ai ri aux éclats en lisant le billet. Et les commentaires.
RépondreSupprimerMtislav: merci!
RépondreSupprimerDidier: oui. Les grands romanciers ne donnent pas souvent le meilleur d'eux-même dans les nouvelles. Les nouvelles de Flannery O'Connor, c'est du haut de gamme. (Ce n'est pas trop fort pour Dorham ?)
Peut être que gun c'est le petit nom du sexe du monsieur ?
RépondreSupprimerSi ça se trouve, il lui brandit sous le nez et ça la fait loucher.
'fin moi j'dis ça, c'est juste pour trouver une explication rationnelle.
C'est un excellent billet de blog et vous racontez vraiment très bien.
RépondreSupprimerLa chute est géniale !!!
Je me demandais pourquoi vous aviez disparu...
Encore merci à la blogroll de Jegoun (et à vous évidemment).
Il était temps: j'allais lancer une alerte enlèvement.
RépondreSupprimerUne idée de nouvelle que l'on ne lâche plus dès les premières pages:
Morphine de Mikhaïl Boulgakov.
Excellent !
RépondreSupprimerJe me demande si la belle voix (mâle)de baryton n'appartient pas en fait à la nageuse est-allemande à tête de boxeur...
(sur le thème de l'inversion des rôles sexués, Vice-versa, de l'auteur que citait Dorham, Will Self)
Audine: bah non, elle ne dirait pas de le poser, mais de le remballer, le ranger...
RépondreSupprimerEstelle: merci !
Fredi: celui qui m'enlèverait n'aurait que ce qu'il mérite ...
Malavita: non non non, aucune inversion, juste ce qu'on appelle injustement un couple mal assorti... (Je note Will Self)
Ah bien sûr, quand c'est Malavita qui cite Will Self, là; vous notez tout de suite...
RépondreSupprimerPffff.
Sinon, je pense qu'Audine a trouvé une très bonne explication...
Pour un retour, c'est un beau retour ! Merci pour ce texte si drôle et qui souligne, chose rare, le rôle positif des armes à feu dans le règlement des problèmes intimes du couple.
RépondreSupprimerJacques Etienne, merci, mais je ne partage pas votre idée qu'il puisse y avoir une conclusion acceptable à une relation sous contrainte. Selon moi, un type qui se fait faire des trucs sous la menace d'une arme à feu mérite une bonne vengeance à l'identique, ou au rouleau à pâtisserie. Je sais ce que vous allez me répondre: mais quelle femme a encore un rouleau à pâtisserie, un vrai en bois dur, pas un de ces rouleaux en silicone qui n'assommerait même pas un hamster ? Et puis, c'est d'un emploi délicat, taper trop fort vous enfonce la boite crânienne. Avec une poêle en fonte aussi. Bien des veuves vous le diront.
RépondreSupprimerDorham: vous avez raison, je suis un peu légère sur ce coup. Je vous remercie donc pour avoir mentionné cet auteur, ce qui a incité Malavita à appuyer cet excellent conseil de lecture. (pfiou, ces Ritals...)
Je passais par hasard ici et je me félicite de mes pérégrinations internetesques : j'ai beaucoup apprécié ce retour sur hôtel.
RépondreSupprimerMerci Elmer...
RépondreSupprimerRigolez, au dessus de mon studio parisien en semaine, un couple de jeunes africains en pleine santé. De quoi prendre mon gun à 3 du mat pour faire taire ces ébats !
RépondreSupprimerPierre: jaloux, va !
RépondreSupprimerTrès beau récit. Vraiment.
RépondreSupprimerJ'ai lu Buzzati quand j'étais plus jeune, pour améliorer mon italien ; on m'avait dit que c'était un auteur facile, et effectivement il l'est, mais je n'ai pas vraiment été fasciné. La seule chose que j'en ai retenu, mais bien, est une phrase de la nouvelle "Autostrada" :
"Era l'ora torpida e greve della sonnolenza e dei miraggi."
Excellent pour emballer l'étudiante Erasmus (en alternance avec "Vaghe stelle dell'Orsa, io non credea...")
Ali Devine: Mais Le désert des Tartares, quand même...
RépondreSupprimerSinon, merci.
vous vous faites rare de l'écrit Suzanne!
RépondreSupprimerVotre désert des tartares, je vous le prépare en cuisine ou vous préférez faire votre assaisonnement vous-même ?
RépondreSupprimerDidier: j'ai fait une autre faute que celle de mettre aussi le mot "mais" en italique ?
RépondreSupprimerBon, tant pis. Je n'insiste pas pour Buzzati.